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donné, en un jour pris au hasard. Le nombre total des malfaiteurs de toute espèce, ayant passé, dans l’année, par les mains des geôliers, s’élève à 153,000, dont 25,000 subissant une première condamnation et 76,300 récidivistes, repris et incarcérés pour la dixième fois au moins, La somme que coûtent à l’état les frais de poursuite et d’entretien de tout ce monde dépasse largement 4 millions de livres, 100 millions de francs. Encore cette dépense est-elle relativement insignifiante si on la compare, d’abord à la déperdition de forces résultant de l’oisiveté obligée de 65,000 adultes, ensuite et surtout au montant des secours que la communauté est tenue d’accorder aux femmes et aux enfans ainsi privés de leur soutien naturel. On peut évaluer à 200,000 personnes le nombre approximatif des condamnés et de leurs familles, qui retombent à la charge du gouvernement et de la charité privée. Cet immense troupeau vit de la prison comme d’autres vivent de l’armée, du barreau ou de l’église. Le froid, la pluie, l’humidité, le frisson de fièvre sous les haillons à jour, plus encore le ventre creux, voilà des raisons suffisantes pour expliquer la fréquence et la répétition des délits. La cellule est un asile comme un autre, on y est mal nourri, mais on n’y meurt pas de faim, pourquoi n’y peut-on pas rester plus longtemps? Un matin, la peine est finie, la porte s’ouvre, le libéré est dans la rue d’où il vient, où on l’avait ramassé. Les affectueuses paroles du chapelain résonnent encore à ses oreilles : qu’il se défie des dangers qui l’attendent, qu’il prenne soin de les éviter! « Ne revenez jamais ici, mon ami, » a murmuré l’ecclésiastique, dans une dernière exhortation. Ces conseils, il est résolu à les suivre, le pourra-t-il ? Il cherche de l’ouvrage, mais alors ce sont des questions embarrassantes : « D’où venez-vous? chez qui avez-vous travaillé, où sont vos certificats ? » Cruelle alternative, faut-il avouer ou se taire? Dans le premier cas, c’est l’accueil injurieux, le doigt menaçant tendu vers la porte. Le silence ou le mensonge sont également inutiles; tôt ou tard, la vérité se découvre et l’homme est chassé. A l’heure actuelle, les prisons sont les véritables écoles du crime ; y entrer une fois, c’est être certain d’y revenir. Et que penser de l’intervention si étrange, si inattendue de la loi anglaise dans certains cas? Que ce soit misère, désespoir ou dérangement passager des facultés, un individu essaie d’attenter à sa vie ; on l’en empêche, on arrête à temps ses mains égarées, c’est bien, mais que croyez-vous qu’on fasse ensuite ? on l’enferme, car il est accusé de tentative de suicide, et si c’est assurément un acte blâmable, il n’est pas moins évident que le meilleur moyen d’amender le coupable n’est pas de le faire passer en jugement et de l’envoyer en prison, en compagnie des criminels.