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mères-nourrices sans lait et sans entrailles. Au reste, l’inconséquence était partout. Très sagement la loi n’autorisait pas le travail des enfans au-dessous de dix ans dans les ateliers couverts et chauffés, si à l’abri qu’ils y fussent des intempéries, mais elle restait indifférente au spectacle de ces mêmes êtres envoyés jusqu’à minuit, par tous les temps, en tournée de colportage, et rossés de belle manière s’ils ne rapportaient pas d’argent au logis.

Ce n’est pas tout; à côté des innovations bienfaisantes introduites dans une législation surannée, la comparution des enfans à la barre des cours royales a été l’objet d’heureuses modifications. Avant le mois d’août 1889, si torturés qu’ils eussent été, avec quelque lucidité qu’une intelligence éveillée leur permît de déposer, ils n’étaient pas admis à apporter en personne leur douloureux témoignage s’ils ne pouvaient (on croit à peine à de semblables exigences) fournir au juge une explication raisonnée de ce qu’est le serment prêté en justice, de sa valeur et de sa portée. Au nom de la religion, on refusait de les entendre. Les coups qui laissent des traces violettes et sanguinolentes, les traits pâles et tirés, l’effroi qui agrandit les yeux et les hébète, l’évidence palpable que ces malheureux étaient les victimes d’une brute, tout cela ne comptait pas; c’était inutile, on leur défendait de parler, d’émouvoir l’auditoire au récit touchant de leurs peines, puisqu’ils n’étaient pas théologiens. Le parlement a débarrassé la procédure de ces affligeantes puérilités. Aujourd’hui, les cours sont investies du pouvoir de tout entendre, de recueillir des plus jeunes bouches le triste aveu des cruautés paternelles. C’est en pleine connaissance de cause qu’elles décident si les faits soumis à leur appréciation sont véridiques, exagérés ou inventés. Troisième réforme et qui n’était pas moins nécessaire ; il y a deux ans, le père et la mère ne pouvaient être témoins à charge l’un contre l’autre lorsqu’il s’agissait de leur enfant. Or comme les actes répréhensibles commis par l’un des conjoints ne l’avaient été, la plupart du temps, qu’en présence du second et que la victime elle-même n’était pas autorisée à déposer, il résultait de ces dispositions bizarres que l’affaire échappait presque toujours aux tribunaux. Magistrature, police, public réclamant le châtiment des coupables, tout le monde était impuissant. L’enfant qui avait osé confier ses griefs à quelque âme compatissante et en demander le redressement à la couronne, retombait à la discrétion de ses bourreaux qu’aucune mesure protectrice n’avait, d’ailleurs, au cours de l’action judiciaire, dessaisis de sa personne. La loi de 1889 est encore une fois venue au secours des faibles en spécifiant qu’à partir de la minute même où la plainte était portée et jusqu’au jour du jugement, l’enfant pourrait être placé en lieu sûr, à l’abri de l’intimidation et des menaces. On ne s’en est pas tenu là. On a