Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

10 livres sterling pour l’un, 20 pour l’autre. Les mères n’ont jamais revu leur nourrisson et peut-être était-ce bien là ce qu’elles voulaient. Mentionnons encore, avec la société pour la répression des actes de cruauté envers l’enfance, la conduite particulièrement révoltante d’une femme qui s’était débarrassée, moyennant 12 schellings par semaine, de deux nouveau-nés. Elle n’ignorait pas que les individus avec qui elle avait traité laissaient lentement mourir de faim et de froid les misérables créatures. Elle le savait et ne craignait pas de faire au taudis où ils dépérissaient des visites régulières ; elle ne cessa d’y venir que lorsque l’un et l’autre eurent succombé. Probablement, dans ce cas, comme dans les cas analogues, on avait eu soin de se préparer, à tout hasard, des témoignages. La police est curieuse et elle pourrait avoir, — qui sait? — La pensée de causer avec les fournisseurs du voisinage, de s’informer auprès du laitier ou du boulanger, par exemple, si les habitans du logis suspect ont fait régulièrement chez eux les provisions nécessaires. Il y a là un danger possible, facile, d’ailleurs, à éviter, grâce à quelques précautions élémentaires. Aussi est-il assez rare que la victime soit, dès le début, soumise au régime des privations. Des individus ont même avoué qu’au lieu d’affamer les enfans, ils aimaient mieux les gorger, l’indigestion chronique étant tout aussi funeste à leur santé que le jeûne. Mais c’est là un système coûteux et la plupart préfèrent s’en tenir aux méthodes usitées. Le gruau, la semoule, le fait, les œufs, tout ce qui sert à l’alimentation du premier âge, est acheté avec ostentation, distribué avec une libéralité hypocrite. Caresses et gâteries, rien ne manque, et ils goûtent ces joies, les innocens, sans doute avec l’illusion qu’elles sont éternelles. Mais la comédie ne dure pas. Peu à peu, le jeune visage perd de sa fraîcheur et de son éclat; le rire s’éteint, la face devient pâle et triste. Le condamné lève sur son entourage de grands yeux surpris; il ne crie pas encore, mais il souffre, et à mesure que diminuent les rations, s’accentue l’affaiblissement. Alors ce sont les remèdes demandés en hâte à la pharmacie pour une maladie que l’enfant n’a pas. Une médication brutale achève de porter le trouble dans un corps frêle et épuisé. Quand la vie ne tient plus qu’à un souffle, une fenêtre ouverte, un courant d’air glacial savamment dirigé précipitent le dénoûment, provoquent les convulsions libératrices. Oui, victime et bourreau, tous deux sont délivrés en effet, mais le plus à plaindre n’est pas celui qui est parti.

En 1889, aux assises du Derbyshire, le juge Wills, parlant des ravages que tant de manœuvres criminelles exercent dans la population infantile, déclarait qu’au cours des procédures entamées il avait constaté que la vie des enfans avait presque toujours été