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assurée. C’est là, ajoutait l’honorable magistrat, un fait profondément regrettable. Les sociétés d’assurances inondent le pays de courtiers et d’agens. Ils pénètrent au foyer des familles, réussissent à leur arracher une signature et voilà le nom du nourrisson porté sur une police souscrite, en cas de mort, au profit des parens. Plus la somme à recevoir après le décès est élevée, plus la tentation est redoutable. Sans doute, à l’origine de ces combinaisons malfaisantes, on n’avait en vue que l’épargne, la possibilité de faire face à des dépenses exceptionnelles, en cas d’accident. Il était possible que le père et la mère se fussent tout d’abord laissé guider par des considérations de ce genre. Plus tard, l’expérience professionnelle avait démontré qu’il se livrait dans l’âme des besogneux ou des cupides un combat dont l’instinct paternel ne sortait pas toujours victorieux. Et M. Wills concluait sans ménagemens que ces institutions étaient devenues un danger national, qu’elles mettaient décidément en péril l’existence des nouveau-nés. Il n’était pas le seul à professer ce sentiment. Un an auparavant, M. Day, président des assises du Wiltshire, avait traité ces associations de fléaux, d’écoles d’ignominie et de meurtre. De son côté, le courageux directeur de la Société nationale commençait une campagne vigoureuse. Il accumulait les témoignages, versait au débat l’avis décisif des hommes de loi, des magistrats et des médecins. Les coroners du nord-est et de l’ouest de la capitale, celui du district de Kingston en Surrey, puis en province ceux de Birmingham, Coventry, Gloucester, Neath, lui communiquaient leurs révélations et leurs craintes. Selon eux, l’accroissement inquiétant de la mortalité infantile devait être attribué à l’assurance, et la situation resterait la même, aussi longtemps que certains parens auraient un intérêt pécuniaire à ce que leurs enfans disparussent. « Le 23 mars dernier, écrivait le docteur B. de Rotherham, une mère sortait de chez elle par une pluie battante et m’apportait un baby de onze mois, à peine vêtu, qui paraissait atteint de pneumonie. Je la renvoyais immédiatement avec des médicamens, non sans l’avoir sévèrement réprimandée d’une imprudence qui devait avoir des suites fatales. Le lendemain, le malade était mort. Lorsque les parens vinrent réclamer chez moi le certificat constatant l’affection à laquelle l’enfant avait succombé, je ne consentis à le leur délivrer qu’après les avoir avertis que je les signalerais à la justice au cas où ils recommenceraient leurs manœuvres. Onze jours après, la même femme amenait à mon cabinet un autre enfant, de trois ans celui-là, presque mourant et dont l’état d’affaiblissement général provenait évidemment d’un manque de soins. Il mourait à son tour dans la même journée. Une inspection à la maison mortuaire ne tarda pas à me convaincre