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pour provoquer de nouvelles élections. Il faut observer d’ailleurs que cette faculté entraînerait de graves inconvéniens dans un pays où le chef de l’État fait si lourdement peser son action sur les électeurs. Un conflit dans ces conditions est donc sans issue autre qu’une révolution.

Voilà les seules causes ayant un caractère général que l’on peut assigner aux événemens du Chili. Si ces causes n’ont pas jusqu’ici produit de pareilles situations depuis 1833, et si jamais on n’avait vu rester debout un ministère en opposition avec la majorité des chambres, il faut l’attribuer à la prépondérance énorme du parti libéral qui gouverne depuis quarante ans, à l’esprit calme et froid du peuple chilien, à la supériorité et la sagesse des hommes qui ont été élevés à la présidence. En effet, dans l’histoire politique du Chili, il y a eu deux présidens très autoritaires, mais tous les deux s’arrêtèrent toujours devant la seule menace d’une majorité d’opposition et d’un refus du budget.

Dans l’histoire récente de la France, un exemple est propre à donner une idée plus nette de ce qui se passe au Chili : ce pays est la victime d’un 16 mai poussé beaucoup plus loin que ne le fut le vrai, mais infiniment moins grave par l’étendue de la scène où il se joue. Le glorieux maréchal de Mac-Mahon qui, soutenu par un puissant parti de réaction ne voulait pas céder devant l’opinion du parlement, céda devant la possibilité d’une révolution, tandis que M. Balmaceda, soutenu seulement par quelques politiciens et sans être obligé à sacrifier ni personnes ni principes pour donner satisfaction au parlement, brave la colère d’un peuple qui, par sa race araucano-espagnole, n’a que trop d’énergie.

Quant aux conséquences probables de cette révolution, il faut distinguer les conséquences purement politiques et les conséquences économiques et financières. Les premières varieront selon le résultat de la lutte, mais on peut l’assurer, les institutions du pays finiront par être considérablement et favorablement modifiées peu de temps après l’issue de la lutte : la pression officielle dans les élections deviendra beaucoup moins puissante ; les attributions du président seront réduites, et, probablement, il sera désormais justiciable à toute époque devant le sénat, comme le sont aujourd’hui les ministres sur une accusation de la chambre ; finalement, on arrivera à décentraliser l’administration, jusqu’aujourd’hui restée entièrement dans les mains de l’exécutif. Ce sont là les réformes réclamées depuis longtemps par l’opinion publique du pays.

Les conséquences économiques et financières de la révolution, au contraire, apparaissent sous un jour bien différent, et rien ne saurait