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Napoléon. Celui-ci avait besoin de lui pour contenir l’Autriche, l’entrevue d’Erfurt fut décidée et fixée au mois d’octobre 1808. Napoléon était encore bien puissant, mais il rencontrait, en Portugal et en Espagne, des difficultés dont il comprenait la gravité. Les colonies espagnoles et portugaises nous avaient échappé ; le nouveau roi d’Espagne, Joseph-Bonaparte, avait été ramené, avec nos armées, de Madrid aux bords de l’Èbre ; force était d’évacuer la Prusse et d’employer une partie de la grande armée à la conquête de l’Espagne.

Napoléon avait très bien remarqué qu’il avait, tout d’abord, séduit Alexandre ; mais, à Erfurt, il sentait confusément que son ami lui échappait, qu’il n’était plus complètement sa dupe, et par un de ces retours fréquens de l’âme humaine, Napoléon accusait, à son tour, Alexandre de ruse et de duplicité, et quand, plus tard, il traçait à Sainte-Hélène le portrait du souverain russe, il disait : « L’empereur de Russie a de l’esprit, de la grâce, de l’instruction, est facilement séduisant, mais on doit s’en défier, il est sans franchise, c’est un vrai grec du bas-empire… Il est fin, faux, adroit, il peut aller loin ! Si je meurs ici, ce sera mon véritable héritier en Europe. »

L’empereur Napoléon, enivré de ses succès, a certainement fait, à Tilsit, des promesses imprudentes, et éveillé des espérances qu’il ne voulait pas réaliser. Refroidi, et rendu plus circonspect par ses premiers revers en Espagne, il a, après Erfurt, infligé à son puissant ami de nombreuses et graves déceptions, inde iræ !

En quittant Tilsit, l’empereur était arrivé à Paris, le 27 juillet 1807. Dès le lendemain, il avait fait sommer le gouvernement du Portugal de fermer ses ports aux Anglais, et il préparait les moyens de l’y contraindre. On a affirmé qu’à ce moment il ne méditait rien encore contre l’Espagne, mais comme il n’était pas maître de la mer, l’empereur savait bien que, pour atteindre le Portugal, il faudrait obtenir, de gré ou de force, de l’Espagne, une route militaire, à travers ses provinces, et des subsistances pour son armée.

Ne voulant pas, n’osant pas dégarnir l’Allemagne, Napoléon envoya dans la vallée du Tage, sous les ordres de Junot, une armée de conscrits, courageux peut-être, mais incapables de supporter les intempéries et les fatigues. Quand il fallut intervenir en Espagne, il eut encore recours à des expédiens. Le général Dupont lui paraissait désigné, par ses brillans services depuis 1805, pour être élevé, des premiers, à la dignité de maréchal de l’empire. Il lui donna le commandement du 2e corps de la Gironde, composé de 3 bataillons de chaque légion, c’est-à-dire de 15 bataillons de