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sous les yeux du lecteur avec détail les institutions de ce genre qui existent à l’étranger, mais de rechercher ce qu’il est possible de faire chez nous, sans négliger ce que nous pouvons nous assimiler de ces institutions, sans imitation servile.


I

Avouerai-je que j’attache à répondre à la première de ces objections, à la plus décisive puisqu’elle supprimerait la question elle-même, un sentiment d’amour-propre national, fort déplacé sans doute dans cet ordre de considérations, s’il ne se joignait ici à un froissement douloureux pour notre patriotisme une atteinte dommageable aux intérêts les plus élevés et les plus positifs. N’oublions pas que presque tous les nouveaux projets de crédit agricole s’adressent à une classe nombreuse, et non plus à quelques grands propriétaires, et que les idées d’association et de mutualité s’y trouvent impliquées. Or, on commence par nous en déclarer incapables. On assure que ce peuple, qui passait pour le plus sociable de tous, cesse entièrement de l’être quand il faut en venir à quelque utile application. On met en jeu la race qui s’y montre réfractaire, et on nous fait entendre que, dans ces matières, notre péché originel est de n’être pas d’origine germanique. A quoi peut-être on pourrait répondre que les Italiens n’en sont pas davantage et qu’ils pratiquent à merveille l’association et le crédit agricole. Mais passons : reconnaissons non notre incapacité, mais jusqu’à présent notre infériorité, en nous demandant si elle ne s’explique pas par des causes auxquelles il n’est pas impossible de remédier. La question en vaut la peine. L’usage du crédit, étendu à des couches de la société qui en sont habituellement sevrées, présente une importance morale aussi bien qu’un intérêt économique et politique de premier ordre. Il suppose dans la masse un degré d’avancement intellectuel et moral dont il n’y a pas lieu de faire fi. La prévoyance, la fidélité aux engagemens, la confiance qui fait qu’on n’a pas toujours l’argent à la main, cette possibilité d’entente réciproque qui permet de créer des institutions destinées à développer à la fois l’épargne et l’esprit d’entreprise qui la féconde, ce ne sont pas là qualités indifférentes. La loi du monde moderne nous fait de ces vertus modestes une nécessité, sous peine de déchéance. Les peuples ne sont pas libres d’avoir ou de n’avoir pas un puissant capital appliqué à leur agriculture et à leur industrie. Sans ce capital, ils ne sauraient satisfaire ni aux besoins d’une société civilisée, en temps de paix, ni aux frais de la guerre, devenus de plus en plus absorbans, ni aux luttes de la concurrence. Le crédit, pris