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dont on ne saurait exagérer l’importance. Outre ses effets économiques, elle expliquerait à elle seule l’enthousiasme avec lequel la plupart de ceux qui s’en sont occupés ont parlé de ces banques de crédit mutuel comme d’une école de morale. On y trouve l’union admirable de deux sentimens, séparés trop souvent jusqu’à l’opposition, celui de la responsabilité et celui de la solidarité. Loin de s’y contrarier, ils s’y fortifient l’un par l’autre. Cette police de l’opinion entre gens de mêmes classes, distribuant et cotant l’estime réciproque, est une façon efficace entre toutes de maintenir en haleine la surveillance que chacun exerce sur soi-même, et un des procédés les plus sûrs qu’on puisse imaginer pour élever le niveau des populations. Les garanties d’ordre moral ne sauraient toutefois tenir lieu absolument des garanties matérielles. On ne saurait entrer dans un tel genre d’association donnant droit au crédit sans une mise de fonds qui représente un gage. Dirons-nous que celui qu’exigent les banques Schultze-Delitzsch n’est pas bien gros ? Il est de 50 marks, et encore l’associé qui n’est pas en état de s’en acquitter immédiatement a la ressource de s’engager sous caution à le fournir à un assez court délai. Tels sont les caractères essentiels de ce « crédit mutuel » que nous ne désespérons pas de voir s’établir un jour en France, sans que nous élevions notre ambition jusqu’à espérer qu’il y reçoive le magnifique développement qu’il a reçu dans des pays où l’on compte par millions les adhérens. Sachons-le pourtant : il n’a pas manqué de gens en Allemagne pour crier à l’utopie quand de pareils plans ont été proposés. Combien l’illustre fondateur Schultze-Delitzsch n’a-t-il pas été bafoué ! Si quelque chose avait pu paraître justifier l’incrédulité à l’égard de nouveautés si hardies, n’était-ce pas surtout la possibilité de contracter des emprunts même assez forts en l’absence de gages matériels, moyennant la garantie solidaire d’un ou de plusieurs associés ? On sait pourtant de quelle manière victorieuse l’expérience a répondu à ces objections autrement fondées en apparence que celles qui sont dirigées chez nous contre des projets infiniment plus modestes, désormais dégagés de l’alliage compromettant d’idées chimériques avec lesquelles on continue trop souvent à les solidariser.


II

Pour s’expliquer ces oppositions qui dépassent de beaucoup la mesure des difficultés réelles, on doit se dire en effet que le crédit agricole paie encore, par les défiances dont il est l’objet, la rançon des erreurs d’une première période pleine de confusion, à peu près comme les fautes de jeunesse continuent longtemps à peser sur la