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informations prises sur place, sans contact immédiat avec les populations. On ne peut pas plus donner ce crédit en le faisant partir de Paris ou de toute autre ville qu’on ne peut diriger la guerre à distance du fond d’un cabinet ; l’on s’expose dans le premier cas à la ruine, comme dans le second on court risque de la défaite. N’est-ce rien que de trouver aujourd’hui le terrain déblayé d’une conception fausse qui l’encombrait naguère et qui compromettait la cause aux yeux des meilleurs esprits ?

En somme, si on ne peut citer chez nous aucune expérience en faveur du crédit agricole, et cela pour cause, puisqu’il est interdit sous les formes qui lui donneraient la vie et l’organisation, on ne saurait alléguer non plus aucune expérience contraire ; car il serait très injuste de tirer la moindre conclusion défavorable de l’échec que l’établissement qui portait ce nom dut subir, après avoir été inauguré en 1857. Il eut l’unique mérite, dont il convient de lui savoir gré, de comprendre qu’il ne devait aucunement se confondre avec le crédit hypothécaire à longue échéance, et de viser l’exploitation du sol à laquelle il se proposait de venir en aide. Malheureusement, c’était encore un établissement centralisé, dirigé par le même gouverneur que le Crédit foncier. S’il faut mettre à l’acquit de cette institution quelques idées justes, si elle répudiait ces papiers territoriaux non convertibles qui prétendent s’imposer par le cours forcé, si le but qu’elle poursuivait était de se rendre utile aux agriculteurs en s’offrant à vérifier les billets qu’ils auraient souscrits, à les recevoir et à les réescompter à la Banque de France, du moins ne fallait-il pas compromettre cette tâche déjà trop difficile en la compliquant par de dangereux accessoires et surtout par des spéculations n’ayant rien de commun avec l’agriculture. Enfin, une vue plus complètement nette du problème à résoudre achevait de se faire jour. Quelques écrits paraissaient qui annonçaient une notion plus exacte des conditions du crédit qu’il s’agissait d’organiser. On n’a pas oublié, même aujourd’hui, tel de ces écrits mieux inspirés, par exemple, celui où M. de Crisenoy exposait un plan qui avait le double mérite de faire avant tout appel à l’initiative privée, et de marquer le rôle que devait jouer la mutualité dans la constitution de banques agricoles disposant d’un capital-actions, augmenté jusqu’à une certaine limite par les cliens devenus actionnaires, comme dans l’Union du crédit de Bruxelles, et d’un capital provenant des dépôts, à l’exemple des banques d’Ecosse. A coup sûr, les difficultés n’auraient pas manqué dans la voie ouverte par de tels projets, mais l’orientation était meilleure, et on ne pouvait guère demander plus à la même époque.