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de la loi de 1807 qui limitait à 6 pour 100 le taux de l’intérêt en matière commerciale ? Près de quatre-vingts ans se sont écoulés avant d’arriver à ce résultat de nature, disait-on, à provoquer des catastrophes, que fort heureusement nous sommes encore à attendre. Quant à la limitation en matière civile, elle continue à faire bonne contenance, et il ne tiendra pas à ses partisans que tous les raisonnemens qu’ont pu faire là-dessus un Turgot et un Bentham ne prennent patience jusqu’à la consommation des siècles avant de pénétrer dans la loi. Hâtons-nous d’en faire la déclaration : nous avons pour la grande œuvre du code civil toute l’admiration qu’elle mérite, et nous sommes convaincu que, malgré ses défauts et ses lacunes, elle est le résumé à peu près le plus judicieux qui pût être fait de l’état des choses et des esprits au lendemain de la révolution. Mais pourquoi ne pas reconnaître avec Rossi qu’au point de vue économique le code présente ces lacunes et ces défauts qui ont cessé de le maintenir en rapport suffisant avec les réalités ? Osons donc dire avec les défenseurs du crédit agricole que l’article 2076 empêche d’utiliser comme gages des valeurs agricoles importantes, qui pourraient facilement et sûrement en servir, parce qu’il exige qu’elles soient mises en la possession du prêteur ou d’un tiers accepté. C’est exclure tout ce qui n’est pas susceptible de déplacement, comme les récoltes pendantes, ou ce qui ne pourrait être déplacé sans priver l’exploitant de matières et d’instrumens nécessaires à l’exercice de son industrie. On ne saurait donc s’étonner que les partisans du crédit agricole réclament l’élargissement de clauses trop restrictives. Pour y échapper, on a demandé que le gage pût servir de caution sans déplacement. Ainsi constitué, il offrirait d’abondantes garanties dans le matériel agricole restant à la disposition du cultivateur qui continuerait à le faire valoir à son profit et à celui de ses créanciers. Cette idée était, au reste, ces dernières années, accueillie par le gouvernement, et un projet de loi conçu en ce sens était déposé sur le bureau du sénat. Mais cette tentative ne devait pas mieux réussir que les autres. Le sénat en repoussait le principe au nom de la même défiance invétérée de la capacité des cultivateurs qui, dit-on, ne sauraient pas s’astreindre aux formalités gênantes qui tiennent à la rédaction d’un acte civil, à son dépôt et à sa publicité. On attend en un mot que les mœurs qui conviennent à la pratique du crédit soient formées pour donner le crédit lui-même. C’est un cercle vicieux où on risque de tourner longtemps.

C’est au même ordre d’idées et aux mêmes obstacles législatifs que vient se heurter ce qu’on appelle d’un terme un peu barbare