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nous moquions beaucoup de la toile colossale qui décorait, sur la place Saint-Sulpice, la façade de l’entreprise Bailly, sur laquelle on voyait une voiture de déménagemens avec son attelage et son cocher peints de grandeur naturelle. À nous qui discutions passionnément tous les maîtres passionnés, Delacroix, Ingres, Géricault, Théodore Rousseau, cette grande machine nous paraissait le contraire de l’art. Nous nous trompions assurément, car, souvent, l’idéal de la génération moderne ne s’élève guère au-delà, et cette gloire était réservée à la prud’homie égalitaire de notre fin de siècle de chercher dans Paul de Kock ou ses successeurs les inspirations qu’on demandait naguère à Homère, Shakspeare, Byron, V. Hugo et autres rêveurs démodés.

Les peintures de M. Maurice Chabas pour la Mairie de Montrouge rentrent dans cette donnée peu lyrique. Le Repas nuptial n’est-il pas un titre bien noble pour ce déjeuner en plein air, chez un traiteur de campagne, servi par le garçon grotesque que nous connaissons tous ? On y reconnaît, il est vrai, parmi les convives animés, quelques têtes d’honnêtes gens ; mais cela ne suffit pas à rendre ce spectacle édifiant. Les jeunes futurs, contemplant cette toile avant l’arrivée de M. le maire, ne se feront pas une bien haute idée du mariage. Ce sera toujours, pour eux, Noces et festins ! Il est vrai que, de l’autre côté, ils verront les devoirs et les joies de la Famille. Joies ineffables qui consistent à s’asseoir, en bras de chemise, sur les talus des fortifications, devoirs rigoureux et difficiles qui consistent à faire sauter les gamins et à soutenir leurs premiers pas ! Ce dernier sujet pouvait passer encore, mais il eût fallu que la puérilité du fond fût sauvée par la vivacité, par la santé, par l’éclat de l’exécution. Mais M. Maurice Chabas ne regarde, comme les autres, qu’à travers des brouillards, et ses réelles qualités d’arrangeur et d’observateur lui deviennent utiles. Les figures sont bien posées, ses indications d’attitudes et de gestes sont justes, souvent heureuses ; il obéit à une mode absurde en ne les soutenant pas. Son plein air n’est que de la pleine brume. Nous tombons dans le vague du vague, et ce qui devrait être, au premier chef, de la peinture bien portante devient de la peinture anémique. M. Delance, ayant pratiqué autrefois un art plus sincère, ne donne pas si complètement dans le piège où se prennent ses jeunes confrères. Son Appel des mineurs à l’entrée d’une mine, pour le ministère des travaux publics, ne le fera pas excommunier par les décadens, parce qu’il s’y tient dans une note grise et blanchâtre qui glacerait Rubens et Delacroix. Toutefois, on y remarque une disposition pittoresque des groupes, une accentuation expressive dans plusieurs figures, bien mises à leur place, une certaine intention de force dans le coup de brosse, qui le désignent à leur juste suspicion.