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L’une des légitimes préoccupations de la Société nationale, c’est de donner, dans ses expositions, à la peinture décorative l’importance qui lui est due et de nous montrer notamment des ensembles décoratifs. Cette année, cependant, la section n’est pas très riche. On n’y voit guère d’intéressant que plusieurs nouveaux fragmens de M. Galland pour la décoration de l’Hôtel de Ville, un carton de tapisserie pour le Théâtre-Français, par le même, dans ce style clair et bien rythmé qui est la marque de toutes ses conceptions, des cartons de vitraux pour l’École de pharmacie, par M. Besnard, où sont disposés des animaux et des végétaux, d’un dessin ferme et d’un coloris éclatant, avec une intelligence très nette et sûre de ce genre de décor. La pièce principale est le plafond de M. Gervex pour l’Hôtel de Ville de Paris, la Musique, mais nous avons quelque doute sur l’effet que produira en place cette grande toile. M. Gervex a voulu à la fois satisfaire aux exigences de cette décoration spéciale et y introduire, néanmoins, l’élément moderne. C’était son droit. Sa conception est ingénieuse ; sur le premier plan, la scène d’un théâtre, avec des figures de spectateurs et de spectatrices, en habits de soirée, émergeant des fauteuils de l’orchestre ou de l’ombre des loges. Sur la scène, une Ophélie lançant un couplet. Au-dessus de la cantatrice, sur des nuées, comme une apparition idéale d’artistes antérieurs, une joueuse de violoncelle, en costume Pompadour et un joueur de flûte, en tricorne, qui l’accompagne. Ces figures, quoique entourées d’amours volans, ont un caractère de réalité qui ne semble pas bien les préparer à prendre la position plafonnante. Au-dessus d’eux plane une Renommée. Comme peinture verticale, la composition est agréablement disposée et contient de jolis morceaux très vivement peints, dans une gamme joyeuse et légère fort bien appropriée. On peut regarder aussi, comme des panneaux décoratifs, les deux toiles dans lesquelles M. Guillaume Dubufe a représenté la Cigale et la Fourmi sous les apparences de deux jeunes femmes peu vêtues, d’une allure élégante et spirituelle, étudiées avec des recherches délicates de modelés qui appartiennent à la vieille plus qu’à la nouvelle école, ce dont nul ne se plaindra.


II

Puisque l’imagination n’est pas le fait des modernistes, on a bien le droit de leur demander d’être expressifs, précis, clairs et simples, neufs, si c’est possible, dans leurs traductions de la réalité. La poésie est en tout et chez tous ; c’est même chez les humbles qu’elle se révèle souvent le mieux par la spontanéité de l’émotion et la simplicité de l’expression ; mais ce n’est pas par des à-peu-près