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haletante de remords, en murmurant : « Tu es le Seigneur Jésus, puisque tu connais mes péchés. » Ce Christ paysan et pèlerin, aux mains noueuses, aux larges mèches de cheveux pénétrées de lumière, se dresse, sous le soleil, avec une autorité pleine de douceur. C’est une noble figure sous son accoutrement rustique, et le paysage d’automne qui l’entoure lui fait un cadre rayonnant. Si la Madeleine était moins lourde et moins vulgaire, on aurait là un excellent exemple du parti élevé et expressif qu’on peut tirer de l’observation réaliste pour le rajeunissement des sujets en apparence usés, mais dont on peut toujours faire ressortir l’intérêt général, humain et permanent. C’est, en réalité, une question de tact, d’invention et de talent. Avant tout, il faut être sérieux en traitant les sujets respectables. C’est une qualité qu’on peut reconnaître encore à M. Hoecker, de Munich, dans son Annonciation, où l’ange est remplacé par une croix lumineuse dont l’apparition fait baisser les yeux à la Vierge affaissée sur ses genoux, les mains abandonnées, sous une tonnelle de son jardin, et aussi à M. Melchers ; dont la Nativité représente, sous un hangar, un ménage d’ouvriers en extase devant son nouveau-né. On voit donc que c’est une tendance générale, plus conforme, d’ailleurs, aux précédentes évolutions de l’art religieux que la soumission froide et résignée à des types depuis trop longtemps immobilisés. Les sources de poésie ouvertes encore à l’imagination moderne ne sont pas si nombreuses qu’il faille s’écarter de celle-là.

En dehors des ouvrages de MM. Dagnan et Frédéric et de ces peintures qu’ennoblit quelque apparence de sentiment religieux, la plupart des études sur la vie moderne, aux champs ou à la ville, exposées au Champ de Mars, impliquent un très faible effort d’imagination, d’observation et de réflexion ; les plus compliquées ne s’élèvent pas au-dessus de l’anecdote courante, et, dans la plupart, la seule préoccupation visible est celle du procédé pittoresque plus ou moins neuf, plus ou moins personnel. Il s’ensuit de là que le nombre est fort grand de pochades amusantes sur lesquelles les marchands et les amateurs peuvent spéculer à leur aise, mais le nombre fort petit d’œuvres vraiment intéressantes et pouvant, par exemple, avec quelque utilité, entrer dans des collections publiques. Les artistes, mêlés de quelques industriels, qui alimentent cette production, se peuvent ici diviser en trois groupes : 1° la droite, les hommes du vieux jeu, les fidèles aux anciennes façons de peindre, académiques ou romantiques ; 2° la gauche, les hommes du nouveau jeu, ceux qui forment la minorité la plus voyante et la plus bruyante de la nouvelle Société ; 3° le centre, les indécis, les flottans, les indifférens ou les malins, ceux qui sont en train de