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jamais rien prétendu innover en dehors des principes nécessaires, le respect du dessin net et juste, l’amour de la couleur franche et vive. C’est le cas, autour de lui, d’autres réactionnaires, jeunes ou vieux, qui se trouvent ici on ne sait pour quels motifs et qui y montrent quelques jolis morceaux, bien dessinés et bien peints, d’après les anciennes méthodes : MM. Lucien Gros (Tricoteuses bretonnes au bord de la mer), Agache (Magicienne), Moutte (Seule et Cueillette des figues), Griveau (Femme au piano, Intérieurs), Salzedo (le Contrebassiste, l’Heure de l’absinthe), Delort (Après dix ans d’absence), Aimé Perret (le Berger et Départ pour la veillée), Eugène Girardet (l’Accouchée du village), Édouard Sain (le Vieux paysan, etc.

Est-il bien vrai qu’il y ait un nouveau jeu ? Est-il bien vrai que, depuis quelques années, on ait inventé une nouvelle manière de regarder la nature et de la peindre ? Ne serait-ce pas tout simplement qu’on trouve plus simple de fermer les yeux au passé, de se complaire dans son insuffisance et défaire de nécessité vertu en prenant pour une supériorité l’incapacité de dépasser un certain à-peu-près et l’impossibilité d’arriver à une réalisation complète ? Le renard de la fable n’est pas le seul qui ait la queue coupée. Quand nous aurons reconnu qu’il y a, chez certains peintres du Champ de Mars, une tendance heureuse et marquée à introduire dans leurs peintures une lumière plus franche, plus fraîche, plus variée que la lumière d’atelier, à éviter, dans les attitudes de leurs figures, les banalités et les redites, à se réinformer sans cesse, avec soin et finesse, auprès de la nature agissante et vivante, à donner à leur exécution cette liberté attrayante et cette vivacité communicative qui transmettent l’impression plus sûrement qu’une facture patiente et minutieuse, nous leur aurons, je crois, rendu pleine justice. Mais de là à conclure qu’il y a nécessité de rompre avec tous les erremens scolaires et à croire qu’on constituera un art nouveau par d’autres moyens que les moyens éprouvés, il y a toute la distance d’une erreur monstrueuse dont seront promptement victimes ceux qui s’y abandonnent ou qui la prêchent.

En réalité, on ne s’y abandonne guère, et c’est beaucoup de bruit pour rien. Voici, par exemple, un jeune artiste, M. Carrière, autour duquel se range déjà, comme autour d’un maître, un certain groupe d’artistes hésitans. Son œuvre consiste en études de têtes, quelquefois de mains, monochromes et fuyantes, habilement noyées dans des fumées molles. Comme il possède un sentiment délicat des physionomies, surtout des physionomies tendres et douces, d’enfans et de femmes, par exemple, il obtient par ce procédé des effets expressifs d’un charme subtil et pénétrant. Mais qui ne voit combien, d’une part, le procédé est vieux,