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primesautières semblent s’exalter par cette liberté qui lui est ici donnée d’affirmer au grand jour sa fécondité, et il n’y a guère que lui, à vrai dire, qui, ait le tempérament assez robuste pour résister à cette fièvre d’improvisation développée si dangereusement par les statuts alléchans de la nouvelle société. Tandis que presque tous ses rivaux et confrères succombent dans cet effort disproportionné, M. Carolus Duran ne bronche ni ne faiblit. Les neuf portraits qu’il expose (dont cinq en pied) ont les mêmes qualités extérieures que tous ses précédens : aisance de l’attitude, vivacité de la physionomie, éclat et vérité extraordinaire des vêtemens et tissus. Si ce n’est pas de l’art profond, c’est de l’art si sain, si franc, si joyeux, que, par ce temps de subtilités pessimistes et de langueurs vaporeuses, on en est, au premier abord, tout ragaillardi. Oui peut rêver un dessin plus ferme, des modelés plus soutenus, une science plus constante et plus sûre, mais a-t-on le temps de faire ce rêve ? On est pris, quoi qu’on veuille, par cette belle humeur de peintre qui s’étale si franchement et si triomphalement sur ces toiles éclatantes. Les peintures de M. Carolus Duran donnent autant de plaisir à voir qu’il semble avoir eu de plaisir à les faire. Pas d’effort, pas de tension, pas de subtilités ; toutes ces jeunes femmes, fraîches et souriantes, se dressent paisiblement comme des fleurs qui s’épanouissent, dans le tranquille éclat de leurs satins et de leurs velours. Les uns préfèrent Mme P.., les autres Miss L.., les autres Miss A.. ; chacune a ses admirateurs. Le morceau le plus intéressant pour nous de la série est le Portrait de Charles Gounod vu en buste, coiffé d’une calotte. Quand M. Carolus Duran a le bonheur d’avoir devant lui la physionomie d’un artiste supérieur reflétant nettement dans ses traits la flamme de son âme, il l’exprime avec une vivacité admirable. On se souvient de l’étonnant Portrait de M. Français à l’un des derniers Salons ; celui de M. Gounod fait la paire. M. Carolus Duran joint à ses neuf portraits une bonne étude de nu, une Danaé dont les chairs blanches s’enlèvent sur un lit de velours noir. Comme le président de la Société nationale, M. Puvis de Chavannes, le vice-président, M. Carolus Duran, ne serait-il donc, lui aussi, qu’un classique obstiné et incorrigible ?

Il y a d’autres classiques, heureusement, au Champ de Mars, classiques avérés, classiques honteux, classiques déguisés, classiques inconsciens, qui comprennent, après tout, que s’il y. a mille manières d’être artiste, il n’y a pas trente-six manières pour en connaître le métier. Parmi les classiques avérés, on peut ranger M. Parrot, qui, tandis que tant d’autres amollissent leur manière, fortifie au contraire et enrichit la sienne par les moyens connus