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spectacles de la vie et du monde impriment dans une âme qui en est touchée. La musique et la poésie traduisent l’une par des sons, l’autre par des mots tout ce qui se passe dans l’intérieur de l’homme ou du moins tout ce qu’on en peut exprimer ou par des mots ou par des sons.

Il y a des traductions trop libres, où l’exactitude est sacrifiée à une fausse élégance ; on les qualifie de belles infidèles. Il en est d’autres qui se piquent d’être littérales et qui sont des trahisons ; on les a comparées fort justement à l’envers d’une tapisserie ; ce sont de vilaines infidèles. Ce que nous demandons avant tout à un traducteur, c’est de se pénétrer à un tel point du génie de l’original qu’il nous le fasse sentir sans effort, et ce que nous cherchons en premier lieu dans une œuvre d’art, c’est la vérité ou du moins un certain genre de vérité. Si le chimiste s’intéresse aux élémens dont se composent les corps, le physicien aux forces et à leurs lois, le physiologiste aux lois de la vie, le philosophe à la loi générale d’où dérivent les lois particulières, le moraliste aux rapports qu’ont les actions humaines avec la science du bien et du mal, l’homme qui considère en artiste les choses de ce monde s’occupe moins de savoir comment elles sont faites que de se rendre un compte exact de l’action qu’elles exercent sur sa sensibilité. Or c’est par leur caractère que les choses nous affectent, et, partant, la première qualité d’une œuvre d’art est la vérité du caractère. Si défectueuse qu’elle puisse être, une œuvre qui a du caractère nous paraît toujours intéressante ; celles qui en ont peu nous laissent froids, celles qui n’en ont point nous semblent nulles.

Que les artistes recourent à de certains procédés pour donner plus de netteté, plus de force, plus d’accent à l’expression du caractère, nous n’y trouverons pas à redire. Le premier et le plus usuel est la simplification. Qu’il s’agisse du monde extérieur ou de l’âme humaine, la nature est toujours copieuse, luxuriante et touffue. L’artiste s’en tient à l’essentiel, il retranche les accessoires inutiles, il émonde, il élague. Il a l’esprit de choix, il a l’esprit de sacrifice. On a dit avec raison que les détails superflus sont la vermine qui ronge les grands ouvrages. C’est pourquoi certaines esquisses de grands maîtres nous semblent supérieures à leurs tableaux ; le caractère s’y manifeste avec plus d’autorité et, pour ainsi dire, s’y montre à nu. C’est par la même raison que la sculpture égyptienne, dont la loi était de tout sacrifier au caractère, a ses dévots qui la préfèrent à toute autre. Ajoutez un seul détail à la tête d’épervier du dieu Phtah, au museau de chatte de la déesse Sekhet ou à la statue du scribe, et vous aurez amoindri l’effet.