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aussi, mais autrement sur notre imagination mise au service de nos jouissances esthétiques. Si vous voulez l’amuser, montrez-lui en petit les scènes de la vie ; elle doit les voir en grand pour ressentir des terreurs et des pitiés qui lui soient agréables ou pour connaître, selon l’expression de Racine, « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Tout ce qui nous égaie nous est bon ; mais nous choisissons les malheurs qui doivent nous donner de la joie ; ils ne nous plaisent que s’ils nous paraissent dignes d’être pleures. Les choses ont leur fierté, et les images ont leur gloire, qui se communique à l’âme qu’elles émeuvent. Plus les sujets qu’on lui présente sont grands et nobles, plus les passions qu’ils lui inspirent l’agrandissent, l’ennoblissent elle-même. La sympathie que nous éprouvons pour une action héroïque ou pour les tribulations d’un grand cœur nous flatte ; l’honneur des belles infortunes et des belles morts rejaillit sur ceux qui les admirent en les plaignant ; le miroir réflecteur s’enorgueillit de l’éclat de la lumière qui le frappe et que son obscurité reflète.

« Les combats de coqs me révoltent, disait un journaliste anglais, parce que je n’attache pas assez de prix à la vie et au courage d’un gallinacé pour surmonter ma répugnance à voir couler son sang. » Ce même Anglais avait eu l’occasion d’assister à une bataille, il déclarait que ce spectacle l’avait transporté : la grandeur de l’événement en avait sauvé l’horreur, et il avait vu sans répugnance couler le sang des hommes. Les honorables philanthropes qui travaillent à supprimer la guerre ont notre raison pour eux ; mais l’imagination se passionnera toujours pour les terribles jeux de l’épée ; et il semble qu’en lui promettant la paix perpétuelle, on lui promet un éternel ennui. Qui n’est curieux de parcourir les champs et les collines où le choc de deux armées a décidé du sort d’un empire ? La terre a bu le sang ; vous avez les nerfs assez tranquilles pour contempler à l’aise le vaste échiquier, pour y distinguer la case où par le mouvement imprévu d’une tour, d’un cavalier, d’un simple pion peut-être, le mat fut donné. Ce qui nous réconcilie avec les horreurs de la guerre, ce n’est pas seulement la grandeur des intérêts en jeu ; c’est qu’elle fournit aux hommes l’occasion de montrer tout ce qu’ils valent, tout ce qu’ils sont et de se surpasser eux-mêmes dans le bien comme dans le mal. Les grands hasards sont la source des grandes inspirations, et il se passe des choses étonnantes dans l’âme d’un homme qui a fait le sacrifice de sa vie, comme aussi parfois dans le cœur d’une bête qui se sent mourir. Un jour, à la Plaza de toros de Madrid, je fus témoin d’une scène que je n’oublierai jamais. Après avoir reçu le coup mortel, le taureau, encore debout, embrassa du regard l’immense arène comme