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l’autopsie d’un tuberculeux. Van Swieten, Morton, Frank, Hufeland admettaient la contagion. Cette croyance était partagée par les populations et elle existe encore dans le midi de l’Europe. En Espagne, en Italie, on brûle les objets de literie des poitrinaires et on prend, à leur égard, les mesures de précaution les plus rigoureuses.

George Sand nous a laissé, dans sa Correspondance, le récit de tous les ennuis qu’elle eut à subir, en Espagne, dans le voyage qu’elle y fit en 1839, en compagnie de Chopin. Il était atteint, dès cette époque, de la phtisie qui devait l’enlever dix ans plus tard, et il venait de s’établir à Mayorque, avec George Sand, à laquelle je laisse la parole, espérant que le charme de son style relèvera quelque peu l’aridité de ces détails techniques : « Au bout d’un mois, écrit-elle, le pauvre Chopin qui, depuis Paris, allait toujours toussant, tomba plus malade et nous fîmes appeler un médecin, deux médecins, trois médecins, tous plus ânes les uns que les autres, et qui allèrent répandre, dans l’île, la nouvelle que le malade était poitrinaire au dernier degré. Sur ce, grande épouvante ! La phtisie est rare dans ces climats et passe pour contagieuse. Joignez à cela la lâcheté, l’égoïsme et la mauvaise foi des habitans. Nous fûmes regardés comme des pestiférés et de plus comme des païens, car nous n’allions pas à la messe. Le propriétaire de la petite maison que nous avions louée nous mit brutalement à la porte et voulut nous intenter un procès, pour nous forcer à recrépir sa maison infectée par la contagion. La jurisprudence indigène nous eût plumés comme des poulets. » Les malheureux voyageurs se réfugièrent à Barcelone, mais là, leurs tribulations recommencèrent. Il leur fallut déguerpir encore et, lorsqu’ils quittèrent l’auberge dans laquelle ils étaient descendus, l’hôte voulut leur faire payer le lit où Chopin avait couché, sous prétexte qu’il était infecté et que la police lui ordonnait de le brûler.

On n’était pas aussi intraitable en Italie, et cependant, à l’époque où George Sand et son infortuné compagnon de voyage étaient rançonnés par les hôteliers de Mayorque et de Barcelone, les lois de police, édictées en 1782 contre les phtisiques, étaient encore en vigueur dans le royaume de Naples. Elles faisaient aux médecins une obligation de dénoncer leurs malades, sous peine d’être condamnés à une amende de 100 ducats et à dix ans de bannissement en cas de récidive. Les pauvres, une fois leur maladie constatée, devaient être conduits d’autorité à l’hôpital. Il fallait détruire le linge et les vêtemens des phtisiques. Il y allait de la prison, et même des galères, pour ceux qui tentaient de les conserver. L’autorité avait charge de désinfecter les chambres des malades en brûlant les portes et les fenêtres et en renouvelant le mobilier. La