Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condition de l’expansion du christianisme, on se prendrait à regretter que les controverses de l’Église primitive sur les observances rituelles n’aient pas abouti au triomphe de la loi et des judéo-chrétiens. Certains hygiénistes anglais ou américains ont demandé aux administrations civiles d’imposer à toutes les boucheries l’adoption, au moins partielle, des coutumes israélites[1]. Le progrès, pour nous chrétiens, serait, en pareille matière, de revenir, après deux mille ans, aux pratiques des anciens Hébreux. Par malheur, la loi est si exigeante sur la santé et la beauté des animaux qu’il est malaisé d’en appliquer toutes les prescriptions à nos abattoirs. Ce serait renchérir démesurément le prix de la viande, partant en restreindre la consommation. Toute blessure, toute fracture, toute trace de maladie ancienne ou récente, est une impureté qui rend la viande terefa. Car, il ne faut pas l’oublier, ces prescriptions sanitaires ont pour principe, ou pour prétexte, une idée religieuse. C’est un sacrifice qu’accomplit le shohel de la synagogue. Les animaux égorgés selon les rites sont « offerts à Dieu, qui n’accepte que des oblations pures[2]. » De là une sorte d’exagération et comme de raffinement de pureté. Tout animal qui présente le plus léger défaut, le shächter juif doit l’écarter ; il est ainsi obligé d’en repousser un grand nombre, parfois dix ou douze sur vingt. La viande kacher, la viande marquée du sceau du shohet ne sera jamais à la portée de tous ; la foule risque fort d’être toujours contrainte de manger terefa[3]

Il suffirait de leurs lois alimentaires et de la vigilance du shohet pour expliquer comment certaines épidémies, comment les affections parasitaires notamment, frappent moins les juifs que leurs voisins d’autres religions. Le juif fidèle à la loi est manifestement moins exposé à toutes les maladies qui se transmettent par la nourriture animale. A cela, il faut ajouter la sobriété traditionnelle du juif, la tempérance orientale qui le distingue si nettement des peuples du Nord, slaves ou germaniques, au milieu desquels l’ont

  1. Voyez, par exemple, une étude du docteur H. Behrend : Nineteenth Century, septembre 1889.
  2. Maxime Du Camp : la Bienfaisance israélite, Revue du 15 août et du 15 septembre 1887.
  3. Cette viande impure, dont ils ne veulent pas pour eux-mêmes, j’ai entendu reprocher aux juifs de la vendre aux chrétiens, comme si, en nous livrant des animaux de rebut, ils ne craignaient pas de nous empoisonner. On oublie que les viandes rejetées par les sacrificateurs israélites sont de tout point semblables à celles que débitent sans scrupule nos boucheries.