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distinction à faire, c’est que, dans sa constitution physique, — et peut-être aussi dans sa constitution morale, — le bien semble venir de lui, et le mal venir de nous ; l’un est de son fait, et l’autre est du nôtre. Sa longévité, sa résistance aux maladies, ses immunités vis-à-vis de certaines affections reviennent à ses ancêtres ; il les doit à sa loi, à ses pratiques, à sa sobriété. Sa débilité, au contraire, et ses vices de complexion, c’est à nos lois, à notre ghetto, à notre système de parcage que le juif en est redevable. Ici encore, dans sa chair et son sang, nous pouvons dire que le juif est un produit artificiel façonné et comme fabriqué, de compte à demi, par sa loi et par les nôtres, par nos légistes et par ses rabbins. Les différences mêmes que nous constatons aujourd’hui entre juifs et juifs, entre les israélites de l’Est et ceux de l’Ouest, en sont la preuve. La race se relève ; le juif se fortifie, il se régénère, à mesure que tombent les chaînes qui pesaient sur lui.

L’imagination populaire a longtemps prêté au juif des maladies singulières, comme un secret vice de sang qui se traduisait en affections repoussantes. C’est là une pure légende. On la retrouve encore vivante en plus d’une contrée. Le peuple, regardant le juif comme un être maudit, le croyait frappé d’infirmités vengeresses de la croix du Calvaire. On pourrait tirer, du folklore de nos aïeux, tout un amusant chapitre de physiologie, dans le sens antique et fabuleux du mot physiologos, chez les auteurs anciens. La légende allait jusqu’à donner, à chacune des douze tribus, une maladie particulière, en expiation du rôle attribué à chacune d’elles dans le drame de la Passion. La tribu de Siméon, par exemple, a cloué le Christ sur la croix : les descendans de Siméon, quatre fois par an, ont des plaies aux pieds et aux mains. La tribu de Zabulon a tiré au sort les vêtemens de Jésus (dans l’Évangile, ce sont les soldats romains), les descendans de Zabulon ont des plaies dans la bouche et crachent du sang[1]. Et ainsi des douze tribus : les hommes d’Asser ont le bras droit plus court que l’autre ; les femmes de Joseph ont, à partir de trente-trois ans, la bouche pleine de vers vivans. À ces maladies pas d’autres remèdes, d’après la superstition populaire, que du sang chrétien. C’était une des raisons pour lesquelles les juifs égorgeaient des enfans baptisés. De même origine est le fœtor judaïcus du moyen âge, la croyance qui attribuait aux juifs une odeur spéciale, dénonciatrice du sang de Juda[2]. On imaginait reconnaître les juifs à leur mauvaise odeur, et

  1. Voyez Isidore Loeb : le Juif de l’histoire et le Juif de la légende. Paris, L. Cerf, 1890.
  2. Ce fœtor judaïcus, avec le Judœorum fœtentium de Marc-Aurèle (Aramien Marcellin, XXII, 5), semble remonter à une erreur ou une malice d’un copiste du moyen âge qui, au lieu de Judœorum petentium, avait écrit Judœorum fetentium. — Voyez Is. Loeb, ibidem, d’après Joël : Blicke in die Religionsgeschichte zum Anfange des Zweiten christlichen Jahrhunderts, 2e partie. Breslau, 1883, p. 131.