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déjà, dans le monde, ces petits juifs, émancipés d’hier, c’est à elle, en grande partie, qu’ils la doivent. Le juif se plie à tout ; il est propre à tout ; il se trouve à l’aise partout, et, par suite, il réussit en tout.

Cette prestesse d’esprit, cette agilité intellectuelle, il y a été dressé par les siècles. Tout a contribué à la lui donner, son éducation historique, les persécutions et les humiliations qu’il a subies, les professions auxquelles il a été condamné, les diverses civilisations et les différens pays qu’il a traversés. Nulle race n’a été rompue à pareille gymnastique. Le juif ressemble à ces pauvres enfans dont les membres ont été brisés et les os disloqués à tous les exercices de souplesse ; les tours de voltige les plus glissans, les sauts les plus périlleux, il les exécute en retombant toujours sur ses pieds.

Autre caractère de l’intelligence juive : la lucidité, la netteté, la clarté, la justesse. L’esprit juif est un instrument de précision ; il a l’exactitude d’une balance. Ici encore, la raison en est simple : elle est dans la vie de ses pères, dans les habitudes et les aptitudes que lui ont inculquées les métiers exercés par ses aïeux durant dix-huit cents ans. En chacun de nous revivent nos pères ; notre âme et notre intelligence, non moins que notre chair, sont soumises aux lois de l’hérédité. Rappelons-nous ce qu’étaient les ancêtres du juif moderne. Nous n’avons qu’à les regarder pour le bien comprendre. Jamais fils n’a été mieux expliqué par ses pères. Qualités et défauts des israélites contemporains ont leurs racines au sein des vieux juifs du moyen âge. Jetons un coup d’œil sur ces lointains ancêtres. Aussi bien la généalogie du juif est facile à relever ; il n’est pas besoin de compulser les archives de ses ghettos. Nous savons quels sont ses aïeux ; l’un d’eux même nous est familier ; c’est le prêteur sur gages, le changeur, le brocanteur, le regrattier, le fripier, le facteur, le courtier, — toujours le même, sous divers noms et divers costumes, à travers cinquante générations. Voilà, pour nous, le grand ancêtre d’où proviennent tous nos juifs, mendians ou millionnaires, incultes ou raffinés. Nous verrons, tout à l’heure, qu’il n’est pas le seul ; mais c’est le plus connu, le principal, si l’on veut. Le juif tient beaucoup de lui, pour l’intelligence, comme pour le caractère. De cette longue lignée d’aïeux voués au change, au trafic, au calcul, au chiffre, le juif a reçu l’esprit d’exactitude, la netteté de la pensée, la justesse du coup d’œil, l’habitude de ne pas se payer de mine. Le marchand n’est pas volontiers dupe des mots et des apparences. Ses yeux sont accoutumés à prendre mesure et ses mains à peser. Il est défiant et a peu de goût pour l’à-peu-près. Voyez le changeur manier des monnaies : il en examine le métal et le coin, il les pèse, il les fait sonner, il vérifie si les bords en sont rognés ou