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avant le roi ; le bâtard savant, avant le grand-prêtre ignorant[1]. » — Quel contraste avec nos barbares d’Occident, Francs, Goths ou Lombards ! Cette maxime, Israël lui a été fidèle à travers tous ses abaissemens. Quand, en pays chrétien ou musulman, une main ennemie fermait ses écoles, les rabbins traversaient les mers pour aller, au loin, rouvrir ses académies. Comme le juif errant de la légende, le vacillant flambeau de la science juive a ainsi passé d’Orient en Occident et du Sud au Nord, émigrant, tous les deux ou trois siècles, d’une contrée dans l’autre. Lorsqu’un édit royal lui donnait trois mois pour abandonner le pays où étaient enterrés ses pères, où étaient nés ses fils, le trésor que le juif mettait le plus de soin à emporter, c’était ses livres. De tous les autodafés dont elle a vu monter la flamme, aucun n’a fait couler autant de larmes chez la fille de Sion que les feux de joie où le moyen âge a jeté les rouleaux du Talmud. Et, à cette heure même, — la plus douloureuse peut-être pour Israël, depuis la sentence arrachée par Torquemada aux conquérans de Grenade, — entre toutes les lois qui s’abattent sur lui, de Pétersbourg et de Moscou, celle auxquelles Juda a le plus de peine à se résigner, c’est le règlement qui se dresse entre lui et les universités.

Revenons à ses ancêtres. Représentons-nous ce qu’étaient ces savans de Juda, et ce qu’était leur science. Les rabbi et les hakham n’étaient pas des savans de cabinet, enfermés dans leur académie ou leur école, isolés de la masse de leurs coreligionnaires, et d’autant plus honorés de leur peuple qu’ils en étaient moins compris. Nullement ; à toute époque, ils ont été en relation étroite et intime avec le gros d’Israël ; ils ont bien réellement formé son âme et pétri son intelligence. Ils étaient bien ses guides, ses conseillers, ses maîtres, ses chefs. Israël tout entier s’imprégnait de leurs doctrines, se passionnant pour les diverses écoles rivales. On pourrait dire que tous les juifs étaient plus ou moins docteurs, ou plus ou moins lettrés. Le juif absolument illettré, l’inalfabeto, comme s’expriment les Italiens, a toujours été rare. L’instruction en Israël a, de tout temps, été obligatoire. Il n’en a jamais été des juifs comme des laïcs, chez les chrétiens, qui abandonnaient la science aux clercs. Un pareil partage eût été contraire à l’esprit du judaïsme. Tout israélite, en un sens, est prêtre ; tout juif est tenu à l’étude de la Thora. A cet égard, tout ce qu’on a dit de la Réforme et de la lecture de la Bible, chez les protestans, s’applique mieux encore aux juifs et au judaïsme. Cela est si vrai que la synagogue s’est longtemps appelée école. Ainsi, autrefois, chez nos juifs du Comtat. Les juifs polonais continuent à dire la

  1. Traité Horaïoth, III.