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Schule, et les juifs italiens la scuola. Durant des générations, les enfans, les garçons du moins, envoyés au heder, dès l’âge de quatre ou cinq ans, ont appris à lire dans les textes talmudiques. Aujourd’hui encore, là où s’est conservée la vie juive, plus d’un artisan ou d’un marchand israélite garde, dans son arrière-boutique, quelque traité du Talmud qu’il étudie, le soir, à porte close, après avoir mis ses comptes en règle. Dans nombre de villes de l’Est de l’Europe, à Vilna, à Berditchef, à Varsovie, à Brody, à Jassy, les ouvriers juifs se réunissent, dans leurs Klausen, pour étudier et méditer la loi. Au lieu du cabaret, au lieu des fanfares ou des orphéons qui attirent ailleurs leurs pareils, ces artisans juifs fondent des hevras pour l’étude de la Thora. Chaque hevra a son maggid ou lecteur qu’elle subventionne à ses frais. Partout, dans les contrées de l’Est, on compte un grand nombre de ces docteurs de divers degrés, maggid, talmid, hakham, dont beaucoup, comme autrefois les rabbins eux-mêmes, vivent du travail de leurs mains[1].

Cette science talmudique, il est vrai, est pour nous une science vaine. Elle nous paraît une stérile érudition de mots et de formules, une oiseuse et creuse dialectique, puérile à la fois et sénile. Ils ont, pour nous, quelque chose de pitoyablement ridicule, les petits rabbins polonais de onze ou douze ans, qui, devant leurs coreligionnaires en admiration, soutenaient toute sorte de thèses sur les matières les plus bizarres de la casuistique talmudique. Inutile et futile peut-être, pour ce qu’elle enseignait, cette science ne l’était point toujours pour l’esprit qu’elle formait et affinait. Il en était de ce pédantesque enseignement du talmudtora ou du melamed comme du discours latin et de nos inutilités de collège. Ce qui ne sert à rien pour la vie est souvent ce qui sert le plus à l’esprit. La Ghémara a soumis, durant des siècles, l’intelligence d’Israël à des exercices de voltige qui en ont encore accru l’agilité. Le Talmud, qui semblait la serrer dans un corset de fer, a, lui aussi, contribué à l’assouplir. On l’a remarqué souvent : la théologie est, pour l’esprit, une excellente école de dressage. De Talleyrand à Renan, diplomates ou savans, tous ceux qui ont passé par les bancs des séminaires en sont sortis plus prestes et plus agiles. Les facultés de théologie, on l’a dit maintes fois, ont été pour beaucoup dans la primauté scientifique de l’Allemagne. La science sacrée est peut-être le meilleur canif à tailler les intelligences. Cela est aussi vrai des juifs que des chrétiens. La discussion des halakhot, la distinction et la comparaison des opinions

  1. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. III ; la Religion, liv. IV, ch. III.