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nom des vieux auteurs, on fit la guerre à Virgile, à Horace, à la nouvelle génération de poètes qu’on accusait, non sans raison, d’embarrasser le latin de trop de grec. On trouve dans Sénèque beaucoup de vieilles formes et la preuve que de son temps l’archaïsme était en vogue : « Bien des gens, nous dit-il, vont chercher leurs mots très loin dans le passé. Ils parlent comme les douze tables. Pour eux, Gracchus et Crassus et Curion sont trop soignés et trop modernes. Ils remontent jusqu’à Appius et Coruncanius. » Ce fut bien autre chose sous les Antonins. On entreprit alors une restauration systématique des vieux mots et des anciennes formes orthographiques. La campagne fut menée par les gens de lettres les plus célèbres de l’époque : Fronton, Apulée, Aulu-Gelle. L’empereur Hadrien donnait l’exemple, lui qui préférait Ennius à Virgile et Caton à Cicéron. Si l’on prônait les primitifs, ce n’était pas seulement pour faire échec aux virgiliens et aux cicéroniens. On avait réellement plus de goût pour les vieux auteurs, parce qu’on les comprenait mieux. La plupart des archaïsans étaient originaires d’Afrique : or le latin de Carthage et de la Numidie dérivait du vieux latin apporté par les premiers colons. Et le nouvel idiome littéraire, façonné par les stylistes, plein de complaisances pour le parler populaire de Rome et des provinces, était plus voisin de Naevius que de Cicéron. Sous le couvert de l’archaïsme et de l’africanisme, c’était encore le latin vulgaire qui entrait dans la littérature.

Dès le IIe siècle de notre ère, le latin savant est en pleine décadence. On ne le parle plus, même dans les cercles les plus aristocratiques. Les empereurs le renient : Hadrien n’admet que les primitifs ; à la cour de Marc-Aurèle on n’emploie guère que le grec ; Septime-Sévère ne s’exprime aisément qu’en punique ; quant au latin, il le parle mal, avec un accent africain. La langue littéraire n’a plus pour clientèle qu’un petit nombre d’initiés, les auteurs de profession et les habitués des lectures publiques. Elle ne vit que de conventions. Elle est menacée dans son vocabulaire et son mécanisme. Elle est affaiblie par l’abus de l’hellénisme, par les raffinemens des stylistes, par la mode de l’archaïsme et le succès des Africains. En même temps, le latin vulgaire agrandit son domaine. Il profite de tout : des progrès de la démocratie, de l’affluence des étrangers à Rome, de l’importance croissante des provinces. Il entre librement dans les livres techniques de Vitruve et des agronomes, dans les romans de Pétrone et d’Apulée, dans les ouvrages des jurisconsultes. Il s’installe même au barreau, où déjà Tacite et Quintilien s’étonnent de le rencontrer. Sous ses trois formes principales : patois de Rome, africanisme, archaïsme, il envahit la littérature entière et commence à déloger de ses positions la langue savante, devenue presque une langue morte.