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l’intention calculée, préméditée et significative de donner de l’éclat à la visite impériale, de recevoir le jeune empereur non plus seulement comme le petit-fils de la reine Victoria, mais comme un souverain puissant et ami, chef de l’alliance continentale. Tout s’y est prêté. La reine elle-même s’est mise en frais à Windsor. Le prince de Galles, sans y mettre d’enthousiasme, s’est résigné à suivre son impétueux neveu dans ses promenades, jusque dans ses changemens de costumes, — et sur l’invitation de sa mère, à ce qu’on nous raconte, il s’est décidé à porter un toast à l’empereur. A peine débarqué, Guillaume II a commencé à s’agiter, à ne plus tenir en place. Il a donné tout au plus quelques jours à la vie de famille, à Windsor, visitant pour se distraire quelques postes, assistant à un mariage princier. Il était impatient de paraître à Londres, d’entrer en pompe au palais de Buckingham. Il a eu, en effet, son entrée avec tout l’éclat officiel voulu. Il a eu déjà sa représentation de gala à Covent-Garden, ses réceptions diplomatiques, son banquet à Guildhall ; il a eu aussi, ce qui ne pouvait manquer, sa représentation militaire, sa revue de volontaires à Wimbledon. Il a tout ce qu’il désirait, tout ce qui pouvait flatter son orgueil, — et comme pour mieux marquer le caractère politique de la visite impériale, lord Salisbury, après être resté l’hôte assidu de Windsor pendant le séjour du Guillaume II, a l’avantage de recevoir lui-même l’empereur à Hatfield.

Les banalités ne comptent pas : elles sont de tous les temps et elles ne coûtent pas aux Anglais, pas plus que les évolutions, dès qu’ils y sont intéressés. Autrefois, il y a trente-cinq ans, du jour au lendemain, ils passaient du plus violent dénigrement aux démonstrations les plus chaleureuses à l’égard de Napoléon III, en qui ils ne voyaient plus que l’allié de la guerre de Crimée. Aujourd’hui, on n’en peut douter, le voyage de l’empereur Guillaume II n’est qu’un incident de ce travail diplomatique poursuivi sur le continent et vu avec faveur par le torysme britannique. Resterait à savoir dans quelle mesure l’Angleterre elle-même y est engagée, jusqu’à quel point la triple alliance pourrait être une quadruple alliance. C’est en vain que, jusqu’à ces derniers jours, on a pressé de questions le sous-secrétaire d’État du foreign office, à défaut de lord Salisbury, qui se dérobe : sir James Fergusson n’a cessé de répondre d’une manière évasive ; il a paru récemment s’approprier les explications données à Rome par M. di Rudini, qui s’est borné à déclarer qu’il y avait eu des échanges de vues, que les intérêts étaient communs entre l’Angleterre et l’Italie dans la Méditerranée. On n’est pas plus avancé ! En réalité, l’Angleterre joue ici le jeu qu’elle a toujours joué. Il est bien clair qu’elle est plus ou moins la complice de tout ce travail qui s’accomplit, qu’elle n’a que des sympathies pour la triple alliance, qu’elle a ses intelligences particulières