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intelligent dont nous sentons la présence dans l’œuvre d’art nous met le cœur à l’aise, l’esprit au large. Les surprises qu’il peut nous causer n’alarment jamais notre confiance ; nous nous en remettons à lui, nous le regardons comme une providence toujours attentive, qui veille à notre bonheur, conduit tout pour le mieux et sait encore mieux que nous ce qu’il nous faut. Par un effet de la configuration du terrain ou par quelque autre motif indépendant de sa volonté, un architecte a dû commettre une faute grave contre la symétrie ; mais ce qu’il y a d’irrégulier dans son bâtiment, il a su le sauver par un heureux artifice ; cet accident nous plaît. A la suite d’un violent orage ou du glissement d’une couche d’argile, un de ses murs s’est lézardé ; nous retrouvons l’accident naturel, et nous en voulons à la nature de se mêler d’affaires qui ne la concernent point. Nous entendons une symphonie ; une phrase qui nous charmait se trouve brusquement interrompue, coupée par une autre d’un caractère tout différent. Nous demeurons en suspens, mais nous ne sommes point inquiets ; nous ne doutons pas que le compositeur ne la reprenne, que nous ne la goûtions encore plus pour l’avoir attendue ; nous savons que dans l’art, tout s’achève, rien ne reste en chemin. Pendant que nous sommes tout oreilles, une chaise tombe à grand bruit, une femme a une crise de nerfs ou un trombone fait un couac, et notre impatience va jusqu’à la colère. Que vient faire l’accident perturbateur dans une œuvre d’art ? Il y est aussi déplacé qu’un chien dans une église. Nous n’admettons pas qu’il intervienne dans un monde où nous contemplons les réalités sous une forme qui plaît à une imagination gouvernée par la raison.


XVI

Nous avons encore d’autres griefs contre cette adorable nature, qui, dans ses bons jours, nous gorge de plaisirs, mais qui ne nous consulte jamais pour savoir de quelle manière ou dans quel ordre nous désirons qu’on nous les serve. Nous nous plaignons souvent qu’elle met comme à dessein de la confusion dans ses spectacles, que quelquefois rien n’est à son plan, que dans les âmes comme dans les champs et les bois, les formes et la lumière ne se dégradent pas selon la valeur et l’importance des choses, que des objets insignifians acquièrent des dimensions exorbitantes et s’interposent entre nous et ce qui intéresse nos yeux. Tel paysage nous est gâté par un détail malheureux, qui occupe tant de place que nous ne pouvons nous en distraire. Dans telle scène de la vie ou de l’histoire, de menus incidens grossissent outre mesure et font tort