Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les maisons furent criblées ; mais nous avions construit de si bons abris que je ne perdis personne.

Le 3 mars, une tempête très violente du sud-ouest s’abattit sur la rade extérieure de Cadix. Cinq vaisseaux de ligne, dont un (la Conception) de 120 canons, 2 frégates et environ 80 bâtimens marchands, presque tous chargés, furent jetés à la côte, presqu’en face de notre camp, vers l’embouchure du San-Pedro. Il y avait, parmi eux, un transport portant 400 hommes du 4e régiment d’infanterie anglaise. Ces soldats et la plus grande partie des équipages furent faits prisonniers de guerre. Quant aux navires, après en avoir enlevé les marchandises les plus précieuses, nous y mîmes le feu et tout fut détruit.

Le 4, j’étais encore de service au Trocadero. Un grand trois-mâts marchand, américain, disait-on, mais affrété par les Anglais, et un brick anglais, étaient échoués en avant de mes postes, entre le fort Matagorda et le vaisseau embossé. Dans la nuit, un matelot déserta et vint à nous. Il me dit qu’à la marée haute les Anglais devaient envoyer des embarcations pour relever ces bâtimens. Après avoir pris des renseignemens sur la destination, le chargement, la force des équipages de ces navires, et après avoir accepté la proposition du déserteur, qui offrait de nous servir de guide, je résolus de les brûler, comme les autres. Je savais bien que la cargaison du trois-mâts était riche et valait plus de 1,500,000 francs, qu’il avait à bord des piastres d’argent, en caisses, pour une somme considérable. Cela ne me tenta pas. Je ne voulais, à aucun prix, exposer la vie de mes soldats, qui, par suite du voisinage du vaisseau et du fort, aurait été fort menacée, s’ils avaient fait le moindre bruit en cherchant à décharger le navire. Je préférais tout brûler. Je prescrivis au capitaine Saint-Criq, qui commandait mes voltigeurs, de faire emporter par chacun de ces hommes des planches pour les placer bout à bout, et former sur la vase, dans laquelle les navires étaient échoués, une piste qui permît de les atteindre sans enfoncer. Je remis au capitaine une bouteille d’esprit-de-vin. Je lui ordonnai de partir à la nuit close, de faire marcher ses hommes dans le plus grand silence, de monter à bord du trois-mâts, qui était au vent du brick, de faire l’équipage prisonnier et de l’envoyer à terre, de répandre ensuite l’esprit-de-vin sur les lits de la chambre de poupe, occupée par les officiers, d’y mettre le feu, et de revenir en silence. Tout cela lut exécuté comme je l’avais indiqué. Les deux bâtimens étaient très voisins ; en un instant tous deux lurent en flammes. J’envoyai l’équipage du trois-mâts au quartier-général, celui du brick anglais s’était échappé avec une embarcation. La violence du feu et les étincelles, que le vent portait jusque