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sur le vaisseau embossé, le contraignirent de filer ses amarres et de s’éloigner. Le brick anglais était chargé de morues sèches, sa fumée était d’une odeur horrible. Le vent la portait exactement sur le fort de Matagorda. La garnison anglaise en fut très incommodée ; cette fumée dura pendant toute la journée du 5 mars, elle était si épaisse que la garnison n’y voyait pas à quelques pas. Ce jour-là, le fort de Matagorda ne tira pas un coup de canon.

Quand on apprit au quartier-général, par le capitaine du trois-mâts américain, la valeur des cargaisons que j’avais fait détruire, on blâma ma rigidité. Les amateurs de piastres, et ils étaient nombreux, pensèrent que si je n’en voulais pas pour moi, j’aurais dû leur en faire part. Mon colonel surtout exprimait les plus vifs regrets. Je répondais, à tous ces propos, que j’étais habitué à ne jamais rien prendre pour moi, et que j’avais dû empêcher les soldats de se livrer à un pillage, qui non-seulement aurait pu faire manquer l’expédition, mais qui, par suite de la proximité des batteries anglaises, aurait été pour eux un grand danger.

Le 12 avril, les Anglais jetèrent beaucoup de bombes dans notre camp, au moyen de deux grosses bombardes qu’ils étaient venus mouiller en face. Une vingtaine de chaloupes-canonnières, soutenant un grand nombre d’embarcations chargées d’hommes, se portèrent vers l’embouchure de la rivière le San-Pedro, à laquelle s’appuyait la droite de notre camp. Elles simulèrent des préparatifs de débarquement pour nous tâter. Il y avait, en cet endroit, une batterie de deux canons de 24 qui tira très juste et éloigna ces embarcations.

Nous avions pris les armes pour nous opposer au débarquement dont on nous menaçait, cela fut heureux, car, pendant que notre camp était évacué, plusieurs baraques sur lesquelles tombèrent des bombes sautèrent en l’air. Les Anglais tirèrent sur notre camp toute la journée. Il était labouré, de toutes parts, par des boulets de gros calibre, et bouleversé par les trous des bombes. Personne, cependant, par miracle, ne fut atteint dans mon bataillon. Il m’arriva ce jour-là deux incidens assez extraordinaires. Quand nous rentrâmes, j’étais sur pied depuis le matin, j’étais fatigué. Vers le soir, je m’étais jeté sur un pliant qui me servait de lit, dans ma baraque ; une bombe, que je n’entendis pas, car je dormais profondément, tomba près du pignon auquel était appuyé le chevet de mon lit. L’ébranlement qu’elle imprima au sol en faisant son trou me réveilla, mais je ne savais ce que c’était ; quand, une seconde après, cette bombe, en éclatant, enlève tout le derrière de la baraque, et me jette, avec mon lit, sans me faire aucun mal, à l’autre extrémité, à la porte d’entrée.