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Notre canot, très petit, offrait peu de prise aux coups de canon. Nous arrivâmes au Trocadero sans accidens, quoique plus de cent coups de canon eussent été dirigés contre notre petit bateau. Un seul aurait suffi pour le couler. Peu d’instans après, la flotte et la flottille firent sur nous un feu diabolique, à la faveur duquel des bateaux anglais s’approchèrent et essayèrent d’incendier notre camp et surtout notre flottille en lançant contre eux une grande quantité de fusées à la congrève. Elles n’allumèrent rien et ne firent d’autre mal que de blesser deux hommes. Nos batteries et nos canonnières répondirent au feu des Anglais et les maintinrent à distance. La canonnade dura jusqu’à la nuit. J’avais eu 2 hommes tués et 4 estropiés au Trocadero.

Nous avions habituellement à l’entrée du canal du Trocadero, pendant la nuit, en avant de nos batteries, de petits postes et des sentinelles sur des bateaux. C’était une précaution nécessaire contre les débarquemens et les surprises. De leur côté, les Anglais essayaient souvent de surprendre ces postes et de les enlever avec leurs embarcations. Ils y étaient parvenus quelquefois pendant les nuits bien sombres de l’hiver. J’avais remarqué que, depuis quelque temps, ils renouvelaient ces tentatives presque toutes les nuits. Afin de leur en ôter l’envie, je fis mouiller, à la nuit tombante, sous le feu de la belle batterie de Saint-Louis, un mauvais canot, dans lequel mes soldats avaient figuré, avec des mannequins et de vieux uniformes, des hommes assis ou couchés. Avant l’obscurité, quatre pièces de 24, chargées chacune de deux paquets de grosse mitraille (grappes de raisins), avaient été soigneusement pointées sur ce canot. Une corde, supportée par des flotteurs en liège, formait autour du canot, à 2 toises environ, une ceinture correspondant, par un long fil de fer, à une sonnette placée dans la batterie.

Dans la nuit, des embarcations, qui avaient remarqué ce poste, s’en approchèrent sans bruit et fondirent dessus avec rapidité. Le signal retentit, et au moment où les canots ennemis étaient groupés autour du piège, les quatre coups de canon, portant à la fois, mirent en pièces les bateaux anglais, leur tuant ou blessant beaucoup d’hommes. Cette leçon leur ôta pour longtemps l’envie de surprendre nos gardes. Cette malice avait fait le bonheur de nos soldats, dont un grand nombre n’avait pas dormi pour jouir du spectacle.