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I

Les changemens qu’ont subis les programmes scolaires depuis 1880 tiennent à deux causes principales. C’est d’abord la nécessité où l’on s’est trouvé d’introduire dans nos classes des enseignemens nouveaux, ou de les mieux traiter qu’on ne l’avait fait jusqu’ici. Les sciences physiques et naturelles, les langues modernes, la géographie, l’histoire, deviennent tous les jours plus exigeantes ; elles ont l’opinion publique pour elles, et il n’est pas possible de les éconduire. En même temps qu’on essayait de les satisfaire, il est arrivé, par une coïncidence fâcheuse, qu’on a imaginé de se plaindre de ce qu’on appelle le surmenage. Il s’est formé une sorte de complot d’élèves paresseux, de mères tendres et de médecins complaisans qui se sont entendus pour déclarer qu’on demande trop à la jeunesse, et que le poids des études, que nous avons, nous autres, si allègrement porté, est devenu trop lourd pour les épaules des gens d’aujourd’hui. On les a écoutés, — car on écoute tout le monde, — et l’on a fait ce qui était possible pour les contenter. Je me figure que ces jeunes gens, quand ils sont sincères, doivent un peu rire sous cape de la peine que nous prenons pour les empêcher de mourir de fatigue. Quoi qu’il en soit, les matières qu’on doit enseigner dans les classes augmentant sans cesse, et le courage des écoliers faiblissant toujours, il a bien fallu amputer quelques parties de nos vieilles études pour faire place aux nouvelles, et naturellement on a pris sur le latin et sur le grec ce qu’on donnait aux autres sciences. C’est ainsi que les vers latins ont disparu définitivement de nos programmes. Je sais des gens qui ne s’en consolent pas ; Sainte-Beuve, qui les aimait beaucoup, en aurait certainement pleuré ; mais, puisqu’il fallait une victime, les amis de l’antiquité se sont résignés au sacrifice. Le moyen de se révolter contre la nécessité !

L’autre raison qu’on a eue de changer notre ancien système d’études soulève plus de discussions. Elle touche à la politique, ce qui l’a fait trouver beaucoup plus grave que la première, quoiqu’en réalité elle me semble moins sérieuse. Il y a des gens qui regardent comme un axiome qu’un gouvernement nouveau doit commencer par établir une éducation nouvelle, et qu’on ne peut pas élever les enfans pour la république comme on le faisait pour la monarchie. Ce principe posé, on cherche de quelle manière on pourra modifier les études pour les rendre véritablement républicaines ; et tout de suite, sans hésiter, on propose de les débarrasser des langues anciennes. Le grec et le latin sont suspects d’aristocratie. Ce sont des langues de luxe, qui ne conviennent qu’à des