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suivi la marche a été bien plutôt un travail spontané que le résultat d’une délibération. Un courant irrésistible s’est dessiné, entraînant les volontés, emportant celles-là mêmes qui répugnaient le plus à la démocratie directe. Où les convictions manquaient, la crainte de se singulariser, d’encourir l’impopularité, a forcé les récalcitrans, — individus ou partis, — à emboîter le pas derrière les hommes d’avant-garde. Que de chemins de Damas, que de subits éblouisse-mens nous aurions à rappeler ! Mais nous devons nous hâter. Il est temps de conclure.


IV

Nous venons de considérer les efforts accomplis par une petite démocratie pour réaliser le principe du self-government, et nous l’avons vue chercher dans le peuple lui-même son point d’appui.

Cependant le problème qui se dressait devant la Suisse contemporaine s’est posé aussi pour les autres nations maîtresses de leurs destinées. Nous dirons même que c’est par excellence le problème de notre époque ; car, à bien prendre les choses, l’organisation normale de la démocratie est l’aboutissement, le confluent de toutes les questions vitales de notre temps. Mais ce problème est susceptible de solutions diverses.

En thèse générale, on peut dire qu’il y a trois manières pour un peuple de tenir le sceptre et de devenir le souverain effectif.

Il pourra d’abord faire sentir sa volonté, non-seulement de loin, mais de près, être toujours présent aux travaux de ses mandataires, les surveiller, les arrêter s’il y a lieu, les contraindre, en un mot, à remplir ses intentions en matière législative et en matière administrative. Dans cette conception, le système représentatif est réduit au minimum. Les corps délibérans ressemblent à de simples commissions chargées de préparer le travail pour les assemblées élues, et, ici, l’assemblée élue est remplacée par le peuple. Cette action du souverain en personne dans la gestion des intérêts publics ira plus ou moins loin ; elle pourra se limitera l’État ou s’étendre aussi à la province et même à la commune. Mais, à quelques ressorts qu’elle s’applique et à quelque degré qu’elle s’exerce, on peut s’attendre à une chose, c’est qu’elle s’accentuera avec le temps : on n’a jamais vu, en effet, les citoyens renoncer complaisamment, de propos délibéré, à des droits acquis, et leur tendance naturelle est d’augmenter leurs privilèges. La Suisse offre ce premier type de gouvernement démocratique.