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nouveauté n’en serait pas de le montrer lui-même aussi différent que possible de la nature de son éloquence, plus humble et plus doux qu’elle n’est impérieuse, plus conciliant qu’elle n’est agressive, plus naïf, disons-le franchement, qu’elle n’a de profondeur. Mais je n’ai pas aujourd’hui tant d’ambitions, ni si diverses, et ce n’est que sa philosophie dont je voudrais parler. Si l’on a pu suivre, en effet, dans une précédente étude, les progrès de l’incrédulité pendant la première moitié du XVIIe siècle, il est bon de savoir ce que d’autres ont fait, d’autre part, pour les ralentir ; comment, en face des libertins, le plus illustre des évêques de France a compris son devoir ; et si vraiment, du haut de sa chaire, il n’a rien vu des dangers qui menaçaient son église.


I

C’est dans ses ouvrages philosophiques, — dans le Traité du libre arbitre, ou dans le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, — que l’on est accoutumé de chercher ou d’étudier la philosophie de Bossuet ; et rien ne semble, en vérité, plus naturel ni plus sage. Je ne dis donc pas que l’on ait tort ; et, pour caractériser ou pour définir, après tant d’autres, la philosophie de Bossuet, je ne me priverai pas moi-même du secours de ses écrits philosophiques. Mais je ne puis m’empêcher d’observer qu’en s’y renfermant, on leur accorde plus d’importance que ne leur en attribuait Bossuet lui-même, qui ne les a ni publiés, ni songé seulement à préparer pour l’impression ; — et ceci ne laisse pas d’être assez significatif. Dira-t-on qu’il n’a non plus fait paraître lui-même ni sa Politique tirée des paroles de l’Écriture sainte, ni ses Élévations sur les Mystères, ni sa Défense de la Tradition et des saints pères ? Je le sais ; mais je sais aussi que la mort l’en a seule empêché. Je sais que, parmi les occupations infinies de sa verte vieillesse, et pour ainsi parler jusqu’à son dernier jour, dans les relâches que lui laissait la maladie qui devait l’emporter, il retouchait et il revoyait sa Tradition, sa Politique, ses Élévations, avec des scrupules, et une inquiétude, et une impatience d’en finir qui témoignent assez de la grandeur du service qu’il eût cru rendre en les publiant. Mais, au contraire, depuis le temps où il composait le Traité de la connaissance de Dieu, c’est-à-dire aux environs de 1680, pour l’éducation du dauphin, fils de Louis XIV, on ne voit pas que Bossuet l’ait relu seulement, et, — chose assez singulière, — quand l’ouvrage a paru pour la première fois, en 1722, d’après une copie qu’on en avait trouvée dans les papiers de Fénelon, ç’a été sous le titre faux d’Introduction à la Philosophie, et sous le nom de l’archevêque de Cambrai. On ne saurait être plus