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boulangers qui ont ouvert les hostilités par la suspension du travail, ce sont les ouvriers des chemins de fer ou leurs délégués qui ont cru pouvoir engager la campagne de la revendication ; mais dans les deux cas, le fait est le même, la grève est l’œuvre des syndicats qui ont visiblement voulu essayer leurs forces. Il est certain que pendant quelques jours, les chefs des syndicats n’ont rien négligé pour pousser à toute extrémité cette dernière grève, qui a commencé par le chemin de fer d’Orléans et qu’ils se flattaient d’étendre à toutes les compagnies. Ils ont rempli Paris de leurs manifestations et de leurs excitations ; ils ont déployé une activité extraordinaire, procédant par tous les moyens, par la captation ou par l’intimidation, pour détourner les ouvriers du travail, — répandant de faux bruits de grève universelle, prodiguant la menace aux compagnies, s’efforçant d’intéresser à leur cause le conseil municipal, même quelques députés de bonne volonté. On a eu sous les yeux un spécimen significatif de ces campagnes auxquelles s’essaient des syndicats qui se disent professionnels et qui ne sent que des bureaux de démagogie plus préoccupés de la guerre sociale que des intérêts des ouvriers. En réalité, elle a fini, cette grève, comme elle devait finir ; elle a expiré dans l’impuissance parce qu’elle n’avait pas de motif sérieux, parce qu’elle n’a intimidé ni le gouvernement ni les chefs des chemins de fer, ni même les vrais ouvriers, parce que de tous les griefs qu’on invoquait, les uns sont de ceux que les compagnies ne refusent pas d’accueillir, les autres ne sont qu’une série de prétentions exorbitantes et chimériques.

Que ces tentatives puissent se renouveler, c’est vraisemblable : elles sont la suite presque inévitable de l’état moral qu’on a créé, des idées fausses et des passions qu’on a encouragées, des facilités qu’on donne aux agitateurs. Telle qu’elle est cependant, avec ses violences et ses excès, cette dernière grève, qui vient de passer comme une bourrasque, n’aura peut-être pas été du moins une expérience inutile : elle aura laissé voir sur deux ou trois points caractéristiques la vérité des choses.

D’abord, c’est un fait démontré, les organisateurs de grèves ont pu s’apercevoir que s’il y a partout un intérêt naturel pour les ouvriers, il y a un point où l’opinion se refroidit et se détourne brusquement. On peut discuter sur les salaires, sur les heures et les conditions du travail, soit ! Lorsqu’on parle, ne fût-ce que par une exagération de club, d’affamer. Paris, d’interrompre les communications de chemins de fer, au risque de provoquer une crise universelle dans la vie nationale, il y a une sorte de révolte instinctive. Les grévistes voient aussitôt l’opinion se tourner contre eux ; ils forcent le gouvernement à remplir son rôle de protecteur de l’intérêt public ; ils fortifient les compagnies dans leur résistance à des prétentions démesurées. Ils restent seuls avec leurs violences stériles, et c’est ce qui explique en partie l’impuissance