Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/730

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand M. l’introducteur des ambassadeurs est par trop académique, nous faisons fête à la méchante petite catin qui le tue.

La vie et le repos, le réel et une pensée de derrière qui le dépasse, la vérité et le rêve, le sérieux du travail et la liberté du jeu, nous voulons trouver tout cela dans une œuvre d’art, ou nous ne sommes qu’à demi contens. Que l’artiste règle ses doses comme il l’entend, c’est son affaire ; mais si l’un des ingrédiens fait défaut, le plat est manqué, et qu’il appartienne à l’école du réalisme ou de l’idéalisme, le cuisinier n’est pas un artiste.


XIX

Qu’est-ce que le vrai réalisme ? qu’est-ce que le véritable idéalisme ? Les esthéticiens qui en ont donné la définition ont oublié trop souvent qu’elle devait convenir également à tous les arts.

— Avez-vous jamais rencontré un musicien réaliste ? me demandait une femme qui adore la musique. Autant que je le puis savoir, un réaliste fait profession de croire que tous les hommes sont des coquins. C’est une chose qu’il peut dire en vers ou en prose, mais je le défie de la dire en majeur ou en mineur. Il ajoute d’ordinaire : « Il y a cependant à cette règle universelle une exception, une seule, c’est moi qui vous parle, et quand le jour du grand déluge sera venu, nous nous réfugierons dans l’arche, moi, ma chatte et mon chien. » Cette exception unique est un miracle, mais ce miracle serait un mauvais sujet d’opéra. — Ah ! permettez, lui dis-je, les vrais réalistes… — Eh ! oui, ils croient que ce monde est une maison de boue, et que ce qu’on y peut trouver de plus propre, ce sont les crottes de lapins. Il y a des gens qui voient tout en beau, d’autres qui voient tout en laid. De-ci comme de-là, c’est une manière de voir ou une affaire de goût, de préférence et peut-être de parti-pris.

Elle était debout, devant une glace ; elle se retourna pour s’y regarder. — Mais permettez, lui dis-je encore, le réalisme n’est pas l’amour du laid, c’est l’amour du réel, et il y a, grâce à Dieu, de belles réalités. Les vrais réalistes… — Oh ! je sais ce que vous allez dire. Ils se piquent de représenter les choses telles qu’elles sont. La bonne plaisanterie ! Les choses ne sont jamais que ce que nous voulons qu’elles soient. Nous avons tous nos lunettes, et nos lunettes ont toujours la couleur de notre esprit, et nous avons beau les nettoyer, elles n’en sont pas moins roses ou bleues, noires ou rouges. Vous me répondrez peut-être que représenter les choses telles qu’elles sont, c’est nous les montrer avec tous leurs détails, sans rien en ôter, sans y rien ajouter.