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certains engins, tels notamment que l’appareil désigné sous le nom d’œuf qui se meut et brûle. Un projectile incendiaire posé à terre s’y trouvait poussé et dirigé à l’arrière par deux ou trois fusées : c’est l’une des premières applications de la force impulsive produite pendant la combustion des mélanges salpêtres. Un appareil analogue paraît, d’ailleurs, avoir été employé contre l’armée de saint Louis, d’après une description de Joinville : — « Aidez-nous, sire, ou nous sommes tous ars. Car voici comme une grande baie de feu grégeois que les Sarrasins nous ont trait, qui vient droit à notre châtel. »

Vers la même époque l’Occident eut connaissance du Liber ignium, ou Livre des feux pour brûler les ennemis, de Marcus Græcus. Cet ouvrage est le plus ancien écrit latin où soit donnée la formule du feu grégeois, feu dont les chroniqueurs latins parlaient depuis plus de deux siècles sans en connaître la composition. Il paraît avoir reçu une grande publicité, certaines de ses recettes étant reproduites dans les écrits de l’école d’Albert le Grand. Roger Bacon semble y faire allusion. Les auteurs du XVIe siècle, Cardan, Porta notamment, en parlent ; puis il fut oublié jusqu’en 1804.

Peut-être n’est-il pas superflu d’entrer dans quelques détails sur cet ouvrage, à cause du caractère un peu légendaire de Marcus Græcus. Nous ne connaissions rien de cet auteur que le nom. Les plus anciens manuscrits qui renferment son livre sont les manuscrits latins 7156 et 7158 de la Bibliothèque nationale de Paris ; le premier surtout, écrit vers l’an 1300, l’autre en étant une copie. Ces manuscrits contiennent une collection de traités alchimiques, parmi lesquels quelques pages sont consacrées à celui de Marcus Græcus. Il existe aussi des copies de Marcus Græcus dans diverses bibliothèques d’Europe, et j’ai dit plus haut dans quelles conditions son livre fut publié par l’ordre de Napoléon.

L’écrit de Marcus Græcus ne renferme pas seulement des articles relatifs aux engins incendiaires, au feu grégeois, au salpêtre et à la fusée ; c’est, en réalité, une collection de recettes techniques, analogue à ces livres de secrets fort en honneur à la fin du moyen âge, réédités du XVIe au XVIIe siècle par Porta, Mizaldi, Wecker, etc., et encore recherchés aujourd’hui : livres qui décrivent toutes sortes de procédés vrais ou faux de sorciers et de faiseurs de tours. La tradition en remonte à l’antiquité, comme le montrent les recettes chimériques attribuées à Démocrite et aux magiciens, dans Pline et dans les Geoponica, et l’ouvrage de Mirabilibus mis sous le nom d’Aristote. Il est probable que le Liber ignium représente, en effet, certaines traditions antiques, revenues en Occident après