Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

française, un des esprits les plus délicats de son temps, s’amuser à écrire une farce scatologique, et son illustre auditoire l’entendre avec délices, ce serait de quoi s’étonner, si tous les siècles ne nous donnaient le spectacle de telles antinomies. Voici, d’ailleurs, une scène expurgée de cette facétie singulière :

Polichinelle. — Bonjour, voisin ; sais-tu le dessein qui m’a p… par la tête ?

Le Voisin. — Comment ! p… ? C’est passé. Que veux-tu dire ?

Polichinelle. — Par la sanguenne ! il n’est pas passé, puisqu’il y est encore !

Le Voisin. — Eh bien, quel est ce dessein ?

Polichinelle. — C’est que je veux demander à être reçu au cas de ma mie Françoise.

Le Compère. — … Ha ! j’entends ! tu voudrais être de l’Académie française, pour avoir des jetons.

Polichinelle. — Eh ! oui. T’y voilà, palsangué ! On dit que ces jetons-là valent pour le moins vingt sols, et je n’en gagne que cinq à porter mes crochets. C’est un grand profil, compère, que je ferai là… Il y a pourtant une chose qui m’embarrasse.

Le Voisin. — Qu’est-ce que c’est ?

Polichinelle. — C’est que je ne sais pas comment je ferai pour manger du foin.

Le Voisin. — Que veux-tu dire ? Manger du foin… Es-tu fou ?

Polichinelle. — Je veux dire que j’ai trouvé deux charrettes de foin qui faisaient un embarras devant leur porte, et l’on disait que c’était pour ces messieurs.

Le Voisin. — Gros sot ! c’est pour leurs chevaux.

Polichinelle. — Oh ! oh ! Ce sont donc des chevaux qui sont là ! Palsangué ! je m’en vais demander une place pour le mien ; … le foin sera pour lui et les jetons seront pour moi.

Le Voisin. — Impertinent ! Sais-tu bien qu’il faut faire des vers pour être de cette compagnie ?

Polichinelle. — J’en ai peut-être fait, sans y prendre garde… Quoi, sont-ce des vers de fougère ?

Le Voisin. — Les vers sont des ouvrages d’esprit que font les poètes ; cela rime.

Polichinelle. — Cela lime, dis-tu ? Oh ! s’il ne faut qu’une lime, j’en ai une chez nous.

Le Voisin. — Rime, te dis-je. Voilà un plaisant animal ! Tu ne sais pas dire deux mots de suite : comment ferais-tu donc pour haranguer, le jour de ta réception ?

Polichinelle. — Pourquoi non ? Je suis de race.

Le Voisin. — Comment ? De race ?