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somme devait m’être rendue en or, quand je serais arrivé en rade et à l’abri de tout danger, avec un paquet pour M. de Champagny, ministre des relations extérieures de France, par un capitaine commandant une frégate espagnole mouillée sur la rade. Je connaissais le contenu du paquet de dépêches. Il renfermait une demande, adressée à Napoléon, par les Américains-Espagnols, de leur renvoyer tous les officiers de leur nation qui se trouvaient prisonniers en France et des lettres de change pour leurs frais de route et de transport en Amérique, où ils devaient servir la cause de l’indépendance.

On me donna pour conducteur le patron du canot sur lequel je devais m’embarquer. Enfin, vers les six heures après-midi, je suivis mon guide vers la mer. Après avoir franchi la porte de Séville, nous étions sur le port quand un gardien espagnol m’interpella en ces termes : « Où allez-vous, paysan ? »

Ces paroles me causèrent une grande émotion. Quoique je parlasse bien l’espagnol, je fus embarrassé. Je n’osai pas me dire Espagnol et je dus répondre à une foule de questions. Je dis que j’étais Italien, car je parlais aussi cette langue. Comme mon interrogateur ne s’en tenait pas là, je crus devoir payer d’audace, et, prenant un ton mal assorti à mon habit, je lui dis :

— —Mais qui êtes-vous, vous-même, pour m’interroger ainsi ?

Il me le fit connaître, en appelant la garde, qui me conduisit au poste. Là, je fus fouillé. Ma bourse déposa contre moi et prouva que je n’étais pas un simple matelot.

Voyant bien que je ne pouvais m’en tirer, je demandai à parler à l’officier de garde. Il vint.

Je lui confiai, en secret, que j’étais un officier supérieur français, prisonnier de guerre, et que le déguisement qu’il me voyait sur le corps n’avait eu d’autre but que de favoriser mon évasion. Je lui remis ma bourse (que le diable de gardien voulait garder) ainsi que ma lettre d’avis de nomination de chef de bataillon et mon compte avec le 8e régiment. Je le priai de faire en sorte que je ne fusse pas maltraité par la populace. Il me fit conduire par la garde chez le gouverneur de Cadix. Dans les rues où nous passions, le peuple accourait de toutes parts. J’entendais dire, entre autres choses : « C’est un voleur ; » et on répétait : C’est un voleur !

— Non, dit un homme de haute taille et de mauvaise mine, ce n’est pas un voleur. C’est un officier français. C’est un espion ! Je l’ai vu parcourant les fortifications, en levant les plans, etc.

Et la foule répéta : « C’est un espion ! qu’il meure ! » A muerte ! A muerte ! criait-on de tous côtés.

Je courais un très réel danger. Mon escorte de la garde nationale