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lieu indiqué. Il fallut encore payer une sentinelle espagnole qui devait, à cette heure, se trouver en faction à cet endroit et qui partagerait alors leur fuite.

Au jour indiqué, à minuit, la barque arrive. La sentinelle se prête à l’évasion, on s’embarque, et on part. La barque était pontée. A une petite distance du rivage, un détachement de soldats, caché dans la cale, se montre tout à coup, et feint de contraindre les matelots à revenir au fort. Que pouvaient ces officiers ? Ils n’étaient que quatre et sans armes. On les saisit, on les dépouille et on les ramène au fort. La mer était houleuse, la nuit noire ; la barque donne sur un des écueils dont le fort est entouré, elle se brise. Ces officiers, qui savaient nager, et les marins gagnent le fort à la nage. Ils s’attendaient bien à éprouver, au retour, les effets de la colère du gouverneur. On les arrête, on les amène devant lui ; ils le trouvent en conférence avec le prêtre qui les avait encouragés à s’évader. Ils voulurent s’expliquer ; on ne les écouta pas, et ils furent conduits, enchaînés, presque nus, dans l’infâme maison où je les trouvai. Je les y laissai, mais j’eus depuis l’occasion de solliciter, auprès du duc de Bellune, qu’ils fussent échangés, et le plaisir de réussir à les rendre à la liberté.

Le lendemain, un adjudant-major de place anglais vint me réclamer, de la part de son général, comme étant le prisonnier des Anglais et non des Espagnols. Je sortis ainsi de cette maudite maison. J’y laissai le chapeau et le manteau de paysan, qui probablement m’avait fait reconnaître pour un étranger. Les Français ne savent pas porter le manteau à la manière des Espagnols ; je l’avais cependant étudiée et je ne sais comment je pus oublier une chose aussi essentielle. J’étais probablement ébloui déjà par l’idée d’être bientôt au milieu des Français.

L’officier anglais me conduisit à la caserne de la porte de terre. Je fus mis dans une casemate du pavillon de Sainte-Hélène. Je devais y être mal, mais, du moins, j’étais sorti de cette espèce de bagne.

Le 5 novembre, le colonel du 67e anglais, M. Prévost, me fit demander les livres et autres objets qu’il m’avait prêtés. Un adjudant me dit qu’il avait ordre de mettre une sentinelle à ma porte, mais que, si je lui donnais ma parole d’honneur de ne pas sortir de la caserne, il n’en ferait rien. Je la lui donnai. Cependant, peu d’instans, après, cette sentinelle fut placée ; partant, quitte ! Il ne fut permis ni à moi ni à mes domestiques de sortir de la casemate sous aucun prétexte que ce fût.

Le même jour, on me remit une lettre du général Sémélé. Elle contenait mon brevet d’officier de la Légion d’honneur (daté du