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— M. le général en chef m’envoie, près de vous, Môôôôsieur, pour vous dire que, si vous voulez bien signer le billet que voici, vous serez libre d’aller près de vos amis.

Je pris ce billet, qui portait que j’engageais ma parole d’honneur de ne pas porter les armes contre les Anglais et leurs alliés (les Espagnols), jusqu’à parlait échange.

Je dissimulai le plaisir que je ressentais en prenant lecture de ce papier. J’avais cru d’abord, d’après le ton solennel de cet officier, que j’avais été dénoncé et que le général Cook avait eu connaissance de mes projets d’évasion. Pour la forme, je répondis à l’adjudant-général qu’il était bien dur pour moi, après une si longue captivité, de voir mettre encore des conditions à mon élargissement ; cependant, ajoutai-je, je suis résigné, — et je signai.

— Quand voulez-vous partir ? me dit l’adjudant-général.

— Mais dans trois ou quatre jours, afin de pouvoir acheter du linge et des habits dont j’ai le plus grand besoin.

— M. le général Cook, croyant que vous auriez du plaisir à retourner sans retard auprès des Français, avait tout disposé pour aujourd’hui.

— Eh bien, monsieur, je suis prêt. Ce sera quand vous voudrez !

— Je vais vous envoyer mon valet de chambre, qui vous conduira au port. Là vous prendrez un bateau. Vous vous ferez transporter à bord du vaisseau-amiral anglais. L’amiral est prévenu de votre arrivée, il vous fera conduire à Sainte-Marie, à bord d’un parlementaire.

Quand cet officier fut parti, je sautai de joie. Je vis ma porte s’ouvrir et mes gardiens disparaître. Je courus à la cour de la caserne, pour respirer un peu le grand air. Je ne pus supporter l’éclat des rayons du soleil, je rentrai chez moi. Je fis un peu de toilette. Je fis ma visite d’adieu à des officiers anglais qui avaient adouci ma captivité par les égards qu’ils avaient eus pour ma pénible situation. Je me mis en chemin en uniforme et en grande tenue. Je me rendis sur le port avec mes domestiques. Je louai un bateau pour nous porter à bord de l’amiral. Le patron, qui voyait des Français en uniforme, ne me fit aucune question. J’avais traversé la ville de Cadix et la foule qui couvrait le port sans que personne m’eût rien dit, et cette fois.je n’avais pas été interrogé, par les gardes. Je me dis alors : si quand j’ai voulu m’échapper, je m’étais présenté en uniforme, il est possible que l’on ne m’eût pas arrêté. On m’aurait pris sans doute pour un Français déserteur ; mais comment entreprendre une pareille aventure ?