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Pendant ce temps, M. le ministre de l’intérieur, M. le ministre des travaux publics, qui n’ont pas à faire des discours en Sorbonne, vont de leur côté en province, répandant, eux aussi, à leur manière, la bonne parole. Ils vont inaugurer quelques chemins de fer, recevoir de petites ovations, qui ne manquent jamais, et surtout réchauffer le zèle provincial. Ils étaient, il y a peu de jours, dans la Corrèze, dans le Lot, à Gourdon, à Cahors. M. Constans est même allé jusqu’à Bagnères-de-Luchon. M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre des travaux publics, dans leurs pérégrinations et dans leurs discours, ne font pas de philosophie, ils font de la politique réaliste et pittoresque. M. le ministre des travaux publics est certainement dans son rôle en rêvant la multiplication des voies ferrées, il se laisse peut-être un peu entraîner par son imagination. Il est presque idyllique en parlant des chemins de fer de montagnes, et surtout il ne compte pas avec l’argent. Qu’on ne lui oppose pas les remontrances moroses de ceux qui remplissent le devoir ingrat de défendre le budget, l’ordre financier, la fortune de la France : lui, il n’a d’autre souci que d’aller en avant, de promettre des chemins de fer qui ressemblent fort à des chemins de fer électoraux, d’achever le « plan Freycinet » pour l’an 1900 : « La France est assez riche pour se permettre ce luxe ! » Voilà qui est parler en homme entendu, sachant semer les chemins de fer ou les promesses de chemins de fer pour récolter les suffrages ! M. le ministre de l’intérieur, quant à lui, dans la distribution des rôles, se réserve la politique familière, et même parfois un peu triviale. Il fait la propagande de la bonhomie. Il se retrouve en famille à Gourdon, à Luchon, avec les méridionaux et fait avec eux la conversation sans façon en leur parlant de lui, de sa famille, de son père qui était un « féroce bonapartiste, » de ses travaux, de ses succès, de leurs intérêts à eux, de leur ville, de la république. Il se montre aussi fort satisfait, ce madré républicain devenu conservateur, comme il l’assure, conservateur de la république, et il dit volontiers d’un ton goguenard, — il le disait récemment à Avignon : « C’est notre tour maintenant d’être les gens très bien ! »

Au fond, M. Constans est trop sceptique pour être dupe de certains préjugés de parti, et il ne demanderait peut-être pas mieux que de se montrer facile avec tout le monde, au risque de passer à son tour pour réactionnaire. Il a certes fait entendre de bonnes paroles à son passage dans le Lot en recommandant aux maires de ne pas perpétuer les divisions locales, en leur rappelant que le drapeau de la république doit abriter sous ses plis tous les Français. Ces jours derniers encore, à Luchon, il a répudié la politique exclusive ; il n’a pas hésité à dire que « la porte de la république est assez haute et assez large pour que tout le monde puisse la franchir sans se courber, sans s’humilier, sans se salir. » Il est malheureusement à craindre que sous