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en Russie. Il est évident que le premier mouvement dans plus d’un pays a été une certaine surprise. On ne s’attendait ni à l’importance qu’allait prendre l’apparition de notre escadre devant Cronstadt, ni à l’éclat des réceptions russes, ni à la gravité significative des démonstrations qui se sont produites. On a eu quelque peine à se reconnaître. Les uns se sont empressés de traiter légèrement ces fêtes et ces manifestations importunes, d’attribuer tout cela à la frivolité des Russes et des Français, de n’y voir qu’une simple politesse ou l’effet d’un mot d’ordre officiel ou une puérile exagération, les autres n’ont pas caché leur impatience et leur mauvaise humeur. — Ceux-ci se sont étudiés à diminuer l’importance de l’événement, à démontrer qu’une alliance était impossible entre la France et la Russie ; ceux-là ont plutôt affecté d’exagérer la gravité des choses et ont pris ce prétexte pour déclamer une fois de plus contre les velléités remuantes et ambitieuses de la France. Au demeurant, la dernière impression à peu près dans tous les pays est bien, à ce qu’il semble, qu’il s’est passé quelque chose de sérieux, que, si rien n’est précisément changé en Europe, il y a désormais des positions prises, des politiques plus nettement avouées.

Et maintenant, après le passage de M. l’amiral Gervais à Cronstadt et à Pétersbourg, quelle peut être la signification de la visite prochaine de notre escadre à Portsmouth ? Il est bien clair que l’Angleterre, avec son expérience des grandes affaires, ne s’est pas longtemps méprise et l’empressement qu’elle, a mis à exprimer le désir de recevoir notre escadre à Portsmouth est la meilleure preuve qu’elle ne veut pas paraître aussi engagée qu’on le voudrait avec la triple alliance, qu’elle ne veut pas se laisser entraîner au-delà de ses intérêts. Nos marins peuvent donc aller tranquillement sur la côte britannique ; ils sont sûrs d’être bien reçus par le gouvernement anglais, par la reine elle-même qui en a exprimé le désir, par le lord-maire, s’ils vont à Londres. Ils se conduiront là comme partout en honnêtes soldats chargés de la bonne renommée de leur pays et portant avec orgueil dans toutes les eaux les couleurs de la France. Après cela, il est bien certain qu’il n’en sera ni plus ni moins, et on ne voit pas bien pourquoi un patriotisme assez puéril ou de faux calculs auraient détourné notre escadre du rivage britannique où de nouvelles fêtes l’attendent. Le voyage à Portsmouth ne dénature ni n’atténue la visite à Cronstadt, qui reste avec toute sa signification. Ce qui est fait est fait et lord Salisbury a pris le meilleur parti en déclarant, ces jours passés, au banquet de fin de session donné à Mansion-House, que la paix de l’Europe n’avait jamais été mieux assurée. Qu’il ait voulu tranquilliser l’opinion anglaise ou témoigner sa confiance dans les intentions de la France et de la Russie, il a parlé en homme d’esprit.

Dans le concert de nouvelles retentissantes, de discours, de consultations politiques, dont les derniers incidens européens viennent d’être