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désintéressement, la sincérité. Dans la succession de ses notes, écrites au jour le jour, nous le voyons pendant des années poursuivre la solution des mêmes problèmes. Comme il s’aime moins que la vérité, il ne tient à ses idées que dans la mesure où elles en sont l’expression. Il reprend les questions, corrige ses propres erreurs ; souvent, sous une proposition qu’il avait énoncée, il écrit falso.

L’expérience est une observation provoquée. Il ne suffit pas de regarder les phénomènes pour découvrir leurs rapports. La cause, que nous aurions intérêt à connaître pour la poser à notre gré, et par elle son effet, est perdue dans une foule de faits coexistans au milieu desquels elle se dissimule. Dans la trame complexe que tisse la nature, les fils isolés et leurs nœuds nous échappent ; pour découvrir les secrets de son travail, il nous faut l’imiter. L’homme est maître de poser, supprimer, varier les circonstances d’un phénomène qu’il produit. Sans cesse, Léonard a recours à l’expérience pour mettre hors de doute un fait observé (exemple : dilatation de la pupille), pour vérifier une hypothèse, pour découvrir, par l’analyse des conditions d’un phénomène, son antécédent constant et nécessaire.

Il suffit d’ouvrir ses manuscrits pour en trouver des exemples. Tour à tour, selon les cas, parfois simultanément, il emploie les méthodes de concordance, de différence, des variations concomitantes, pour parler le langage des logiciens modernes. S’agit-il d’étudier les mouvemens de l’eau qui se déverse ? « Il essaie de faire sortir l’eau de différentes sortes de trous, tortueux et droits, longs et courts, avec des bords émoussés, minces, ronds et carrés, et de la faire battre contre divers obstacles. » Il est facile de reconnaître ici une combinaison de la méthode de concordance et de la méthode des variations concomitantes. « Si un poids de 100 livres tombe dix fois de la hauteur de 10 brasses sur un même endroit et s’enfonce d’une brasse, de combien s’enfoncera-t-il en tombant de la hauteur de 100 brasses ? » Le poids, la chute totale, toutes les circonstances de temps et de lieu sont les mêmes. Entre les deux cas, il n’y a qu’une différence dont nous sommes à même de constater les effets (méthode de différence). « Si on laisse tomber en même temps d’une hauteur de 100 brassés un poids qui pèse 1 livre et un autre qui pèse 1 livre 1/2, de combien le premier tombera-t-il plus vite que le second ? .. Si un poids tombe de 200 brasses, de combien tombera-t-il plus vite dans les deuxièmes 100 brasses que dans les premières ? (le seconde cento braccia che le prime ! ) » N’y a-t-il pas, dans la seule indication de cette expérience, le pressentiment des lois de la chute des corps, du rapport de la vitesse au temps de la chute ? Parfois, Léonard imite