Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplis de ces sottises : « esprits parlant sans langue, agissant sans organes, déchaînant pluie et tempêtes, hommes changés en chats, en loups et autres animaux, bien qu’à dire vrai, seuls ceux qui affirment ces choses soient transformés en bêtes. » Au moment où le dominicain Sprenger écrit son Malleus maleficarum (marteau des sorcières), d’une imbécillité meurtrière, où la croyance à la sorcellerie, greffée sur la peur du diable, va faire tant de victimes, Léonard, comme Nicolas de Cües, n’y voit que la folie de la crédulité.

A la nécromancie, il oppose d’abord un argument de sens commun. Si, « comme le croient les esprits bas, » elle était chose réelle, elle donnerait à l’homme une puissance infinie. Faire éclater la foudre, précipiter les vents, jeter bas armées et forteresses, découvrir tous les trésors cachés dans le sein de la terre, voler en un instant de l’Orient à l’Occident, rien ne serait impossible à l’homme, « excepté peut-être de se soustraire à la mort. Je sais que bien des hommes, pour satisfaire un de leurs appétits, sans scrupule, ruineraient Dieu avec tout l’univers ; si donc la nécromancie n’est pas restée parmi les hommes, c’est qu’elle n’a jamais existé. » Comment admettre qu’un art si précieux ait pu se perdre ?

Ce n’est là qu’une réfutation par l’absurde. On peut aller plus loin ; « par la définition de l’esprit qui est une substance invisible » (il quale e invisibile in corpo), démontrer directement que la nécromancie est une chimère. D’abord l’esprit ne peut rester parmi les élémens : « Quantité incorporelle, il produirait un vide, or il n’y a pas de vide dans la nature, » l’esprit serait donc chassé nécessairement vers le ciel par la loi de la gravité, comme l’eau chasse par son poids l’air qu’elle comprime. En second lieu, il est impossible que l’esprit produise un mouvement. Supposons qu’il s’infuse en une certaine quantité d’air, « il raréfie l’air dans lequel il s’infuse, donc cet air s’élève au-dessus de l’air plus pesant, et le mouvement est produit par la légèreté de l’air et non par la volonté de l’esprit. » Qu’il fasse du vent, voilà l’esprit emporté, il ne sait où. Il lui est défendu aussi de parler. « Il ne peut y avoir voix là où il n’y a pas mouvement et percussion d’air ; il ne peut y avoir percussion d’air où il n’y a pas un organe (slrumento), et il ne peut y avoir d’organe incorporel ; s’il en est ainsi, un esprit ne peut avoir ni voix, ni forme, ni force, et s’il reçoit un corps, il ne peut pénétrer où les issues sont fermées. Si quelqu’un dit : par air comprimé et condensé l’esprit reçoit des corps de diverses formes, et par cet instrument il parle et meut avec force, je réponds : où il n’y a nerfs ni os, il ne peut y avoir une force qui se manifeste par les mouvemens de ces esprits imaginaires. » Vous saisissez sur le vif la logique de Léonard, Comment il combine les méthodes