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inductive et déductive dans la réfutation d’une erreur qu’il oppose aux conséquences qui se déduisent nécessairement de lois naturelles fondées sur l’expérience. Vous voyez aussi le goût qu’a ce ferme esprit pour la magie et l’art surnaturel de tout faire en ne faisant rien !


VI

A l’extrême opposé, on veut que ce libre esprit se soit enfermé dans les limites de la connaissance positive. Si toute science implique l’intervention des sens, commence par l’observation et s’achève par la démonstration mathématique ; si elle a pour caractère la certitude qui met fin à tout débat et la puissance qui vérifie la loi en l’appliquant, ne semble-t-il pas que le Vinci doive mettre la métaphysique au rang de ces sciences chimériques qui dépassent la portée de l’intelligence humaine, condamnant l’homme au désespoir et à la mélancolie, châtiment des ambitions démesurées ? Faire de Léonard un positiviste, un précurseur d’Auguste Comte, voilà qui le mettrait à l’avant-dernière mode, si la magie est la dernière. Plus d’un texte, je l’avoue, semble favorable à cette thèse ; mais nous sommes en présence d’un homme qui remplit la mesure de l’humanité : il n’oppose pas les contraires, il les concilie.

Que la certitude de la métaphysique ne soit pas celle des sciences positives, Léonard le voit très nettement. Dans les sciences, la vérification se fait par les sens ou par l’accord de tous les esprits dans une vérité qui s’impose. Dès que nous dépassons les phénomènes, dès que nous sortons de la quantité, l’expérience et la mesure nous abandonnent : — « O sottise humaine, ne t’aperçois-tu pas que, bien qu’ayant été toute ta vie avec toi-même, tu ignores encore la chose que tu possèdes le plus, ta folie ? et tu veux avec la foule des sophistes te tromper et les autres, méprisant les sciences mathématiques qui contiennent la vérité et la pleine connaissance des choses dont elles s’occupent ; et tu prétends faire des miracles (scorrere nei miracoli) et écrire que tu as connaissance de ces choses qui dépassent la portée de l’esprit humain et ne se peuvent établir par aucun exemple naturel. » Se limiter à ce qui peut être prouvé « par exemple naturel, » n’est-ce pas s’enfermer dans le monde des apparences ? Ce qui échappe au contrôle des faits, n’est-ce pas cette réalité dont les sens ne nous donnent jamais que le phénomène ? Pourquoi ces spéculations hardies quand nous avons tant à apprendre en étudiant ce qui est à notre portée ? « Vois, lecteur, comme nous ne pouvons nous confier à nos anciens, lesquels ont voulu définir ce