Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il la suivait dans la bourgeoisie, vite odieuse pour elle, de son premier mariage où elle s’était débattue, comme enlisée, avec une nervosité voisine de l’hystérie, détraquée par les élans insatisfaits de son cœur, le romanesque inassouvi de son cerveau. De là, il la transportait dans le cadre de son existence nouvelle, dans leur mariage d’amour, tombé, lui aussi, avec les temps écoulés, à la paix simple et grise d’un ménage bourgeois ; et il redoutait que rien ne fût changé de ce qu’elle avait été et de ce qu’elle était maintenant. L’ennui, peut-être, du plat de l’existence poursuivant son même rouleau terne, lui pesait. Sa passion lui laissait la mélancolie inquiète des joies qui sont achevées ; et des affections maternelles, peut-être, que la naissance d’un enfant n’était pas venue rendre actives, la tourmentaient obscurément ?

Il repoussa cette inquiétude. Mais elle revenait, au premier prétexte, souvent sous une autre forme, par un nouveau mode d’envahissement, plus tenace chaque fois. Certainement, sa femme l’aimait. Après tout ce qu’il avait fait pour elle, tout ce qu’elle lui devait, elle ne pouvait pas ne pas l’aimer. Il l’avait sauvée, lui avait donné l’amour, avait mis autour d’elle le respect au lieu des mépris, en elle la joie au lieu de la douleur, la vie au lieu de la mort. Sans lui, que fût-elle devenue ?

Mais cela même l’attrista : ne l’aimait-elle donc que par reconnaissance ? La reconnaissance pourtant n’était pas de l’amour. Cette pensée éveillait en lui une douleur que son esprit ressassait continuellement ; et, de cela même, elle s’élargit ; son cœur fut empli d’une amertume. L’aimait-elle ? L’avait-elle aimé ? Il arrivait à n’oser plus répondre à cette question. Un doute l’envahissait. Le sentiment de la reconnaissance expliquait le bonheur passé. Et il expliquait surtout l’étrangeté de son attitude, l’incompréhensible de son caractère. Cette reconnaissance, maintenant, lui pesait, et cela, forcément, fatalement. Sur cette pente, alors, il ne s’arrêta plus. Elle ne l’aimait pas ; elle ne l’avait jamais aimé. Elle avait joué une comédie, et le masque l’étouffait ; en elle grandissait l’immaîtrisable besoin d’ingratitude de la femme, son éternel besoin de révolte contre l’être auquel elle doit tout.

Son ancienne et longue observation de la femme remontait à son esprit. Il généralisait, se rappelant des procès et des divorces. Toujours il avait vu, en les rares mariages où la fortune venait de l’homme, la même injustice de la femme pour le mari, le même mépris caché, la même rancune, celle qu’ont les femmes entretenues pour l’amant qui les paie. Il fallait à la femme, au contraire, l’orgueil de se payer un homme. La femme tirée de la pauvreté ne voyait jamais en son mari que l’occasion qu’il lui avait