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singulièrement de caractère. M. de Villèle était un méridional actif, délié, même assez facile, ceux qui subissaient son ascendant le lui reprochaient déjà ; M. Corbière était un rude Breton, entier, un peu paresseux, caustique, lettré, plébéien d’origine, gardant dans sa vie un certain sans-façon bourgeois qu’il devait porter plus tard jusqu’aux Tuileries, comme M. Royer-Collard qui se mouchait bruyamment devant le roi. Ces deux hommes avaient cependant plus d’un point de ressemblance : volontiers ils se disaient tous les deux « campagnards. » Avec des opinions royalistes très nettes, ils n’avaient pas les passions des émigrés. Ils n’étaient pas des hommes de cour, ils ne voulaient pas être des hommes de coterie. Ils se sentaient supérieurs par le talent au monde qui les entourait et qu’ils jugeaient. Ils avaient commencé ensemble leur campagne parlementaire, et bientôt ils ne faisaient plus rien l’un sans l’autre. Ils avaient noué une amitié qui a pu avoir depuis ses orages intimes et a résisté à tout. M. Hyde de Neuville, dans ses intéressans Mémoires, dit que, dans ces jours de 1815, « ils représentaient un centaure à deux têtes n’ayant qu’un corps pour le combat. » C’est beaucoup dire ; ils étaient au moins de ceux qui servent leur cause par l’intelligence et que les partis politiques acceptent volontiers pour chefs, parce que, selon la fine remarque de Lamartine, « en inspirant confiance aux passions de ces partis, ils les délivrent de l’étude de leurs affaires. » C’est ce qui avait fait leur succès politique et parlementaire dans un monde plus ardent qu’expérimenté.

Entrés inconnus dans la session de 1815, ils se trouvaient à l’issue de cette session des personnages publics considérés, recherchés dans les salons parisiens, chez M. de Montmorency, chez la duchesse de Lévis, chez la princesse de La Trémoille. M. de Villèle, en parlant avec un peu de complaisance du succès qu’on leur avait fait à lui et à son ami Corbière, a lui-même écrit : « Peu de soirs se passaient sans que nous fussions invités dans le faubourg Saint-Germain à quelque dîner ou à quelque réunion politique. Nous avions adopté l’un et l’autre pour règle invariable de ne jamais refuser de nous rendre à ces réunions, afin d’être au courant des projets et des dispositions de nos amis, mais de ne nous lier à aucune pour rester en dehors de toute coterie. » M. de Villèle était fêté dans les salons royalistes de Paris ; il était bien plus fêté encore à son retour dans sa bonne ville de Toulouse qui, toute fière des succès de son maire-député, lui préparait des ovations, et il est curieux de voir ce qu’en pensait au loin une personne à l’esprit fin et pénétrant, Mme de Rémusat, la femme du préfet, la mère de celui que nous avons connu. A Paris, M. de