Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris court à 77 3/4 (pour 300 fr.), à Berlin, alors que le 5 juillet il avait valu 80. Le 24 octobre, on était tombé à 77 1/6, le 16 décembre à 77[1], pour remonter progressivement à 80 le 20 janvier 1872. A la suite du second grand emprunt (4,136 millions de fr.), en juillet 1872, le change sur Paris eut de nouveau tendance à fléchir ; en 1873, les cours extrêmes lurent 78 2/3, 30 mai et 80 1/4, 13 décembre. A la même période appartient l’abandon par l’Allemagne du double étalon, l’adoption de l’étalon d’or et la baisse de l’argent fin sur le marché.

Au moment où la Banque de Prusse était venue s’établir en Alsace-Lorraine, elle n’avait pas vu d’inconvénient à autoriser l’acceptation de pièces françaises d’or et d’argent, au change fixe de 80 thalers pour 300 francs. Les fluctuations en change, que nous venons de rappeler, mirent la banque dans une situation dangereuse et l’exposèrent à des pertes, au moment où le change était tombé à 77 3/4 thalers et où la somme de monnaie française d’argent s’accumulait dans les deux provinces. La spéculation trouvait avantage à acheter des pièces françaises à bon marché là où elle pouvait en trouver et à les présenter aux guichets de Strasbourg, Mulhouse ou Metz, où on les lui prenait à raison de 80 thalers pour 300 francs[2].

Les banquiers allemands tiraient sur l’Alsace-Lorraine, les effets étaient escomptés, et à l’échéance le tiré payait en pièces de 5 francs. L’obligation où se trouvait la banque d’accepter de si fortes sommes en écus lui imposait, en dehors des risques du change, des frais de transport considérables. Les opérations d’escompte prirent une grande activité : le monde des allaires exploita une circonstance qui lui permettait d’échanger au pair des thalers contre les pièces françaises.

La Banque de Prusse essaya de se défendre, en écartant de l’escompte les lettres de change qui sentaient l’arbitrage, mais cela n’était pas facile à distinguer. Le remède le plus efficace fut de restreindre le plus possible la mise en circulation de ses propres billets, d’effectuer les paiements en francs, excepté lorsqu’elle remboursait ses banknotes.

L’Alsace-Lorraine regorgea de monnaie française, d’autant plus que les gouvernemens de l’Allemagne du Sud avaient touché une

  1. L’emprunt de 2,776 millions est du 27 juillet 1871.
  2. Un arbitrageur versait par exemple 8,000 thalers en pièces de 5 francs au cours de 3.75 à la succursale de la Banque, à Strasbourg, et les faisait transférer à un banquier de Berlin. Ces 30,000 francs en argent français ne valaient, d’après le change de 77 3/4, que 7,775 thalers ; il restait donc un bénéfice de 222 thalers environ à partager.