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Villèle passait pour un ultra pur et simple ; à Toulouse, avec le préfet, il se montrait beaucoup plus modéré, sévère pour les ministres qui avaient tout gâté avec leurs lois mal conçues, passablement libre aussi à l’égard des exaltés de son parti et des propositions « sorties de ces cerveaux embrasés. » Mme de Rémusat, en racontant avec une légère ironie les triomphes toulousains du maire-député, écrivait à son jeune fils Charles, alors à Paris : « Hier soir, le maire est venu conférer avec votre père… Nous sommes demeurés tous trois ensemble, et nous avons fait une bonne et longue conservation. Il nous a dit quantité de choses curieuses ; il prétend que la chambre était des plus faciles à mener et qu’un ministre habile en aurait fait ce qu’il eût voulu… Enfin, je vous jure qu’il y a plus de bon sens dans cette tête-là que vous ne le croyez là-haut… » Et le jeune Charles de Rémusat, déjà un peu sceptique, mais fort libéral, répondait de Paris à son aimable mère, dont les lettres restent une des plus piquantes peintures de ces premiers temps de la Restauration : « On nous rit au nez quand nous disons du bien de M. de Villèle et que nous parlons de sa raison, presque de sa vertu. Son entrée triomphale (à Toulouse) a fait un bruit qui retentit encore…[1]. »


III

Lorsque M. de Villèle, à peine arrivé de Paris, avait avec M. et Mme de Rémusat ces conversations familières où il convenait de tout sans embarras, avouant les fautes et les emportemens de ses amis, sans ménager les ministres, il ajoutait « qu’on s’entendrait mieux à la prochaine session, qu’on se modérerait des deux côtés, que les députés avertis par l’état des provinces auraient plus de prudence. » Il ne savait pas que cette chambre qui avait vu naître sa fortune politique ne se réunirait plus, que la pensée de la dissoudre était déjà entrée dans les conseils du gouvernement. Elle y était entrée par l’adroite et souple influence du jeune ministre de la police, M. Decazes, fort de la faveur du roi, avec l’assentiment d’abord hésitant et inquiet de M. de Richelieu, de M. Laine, et aussi sous la pression de la diplomatie étrangère, surtout de M. Pozzo di Borgo qui ne cessait d’assiéger souverain et ministres

  1. Publiées par son petit-fils, M. Paul de Rémusat, ces lettres d’une personne de tant de raison et d’esprit, instruite et un peu précieuse, forment, on le sait, six volumes. Elles sont souvent un peu prolixes, elles se ressentent de l’abandon d’une mère à demi doctrinaire donnant volontiers des consultations à son fils. Elles ne laissent pas moins une impression vraie et fine sur bien des choses et des hommes du temps, et les lettres du jeune Charles de Rémusat ne sont pas moins curieuses.