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l’impossibilité de le franchir avec leurs chevaux, et obligés de faire face à mon régiment, qui allait les joindre, les cosaques se retournent, et, se serrant les uns contre les autres, ils nous présentent bravement leurs lances !

Le terrain, couvert de verglas, était fort glissant, et nos chevaux, très fatigués, ne pouvaient galoper sans tomber. Il n’y eut donc pas de choc, et ma ligne arriva seulement au trot sur la masse ennemie qui restait immobile. Nos sabres touchaient les lances, mais celles-ci ayant treize à quatorze pieds de long, il nous était impossible d’atteindre nos adversaires, qui n’osaient reculer de crainte de tomber dans le précipice, ni avancer pour venir affronter nos sabres ! .. On s’observait donc mutuellement, lorsque, en moins de temps qu’il ne faut pour le raconter, se passa la scène suivante.

Pressé d’en finir avec les ennemis, je criai à mes cavaliers qu’il fallait saisir quelques lances de la main gauche, les détourner, pousser en avant et pénétrer au milieu de cette foule d’hommes, où nos armes courtes nous donneraient un immense avantage sur leurs longues perches. Pour être mieux obéi, je voulus donner l’exemple, et, écartant quelques lances, je parvins en effet à pénétrer dans les rangs ennemis ! .. Mes adjudans-majors, mes ordonnances me suivirent, et tout le régiment fit bientôt de même ; il en résulta une mêlée générale. Mais, au moment où elle s’engageait, un vieux cosaque à barbe blanche, qui, placé aux rangs inférieurs, se trouvait séparé de moi par d’autres combattans, se penche, et, dirigeant adroitement sa lance entre les chevaux de ses camarades, il me frappe de son fer aigu, qui passa d’outre en outre sous la rotule de mon genou droit ! ..

En me sentant blessé, je poussai vers cet homme pour me venger de la douleur affreuse que j’éprouvais, lorsque je vis devant moi deux beaux jeunes gens de dix-huit à vingt ans, portant un brillant costume couvert de riches broderies : c’étaient les fils du chef du pulk. Un homme âgé, espèce de Mentor, les accompagnait, mais n’avait pas le sabre à la main. Le plus jeune de ses élèves ne se servait pas du sien, mais l’aîné fondit bravement sur moi et m’attaqua avec fureur ! .. Je le trouvai si peu formé, si faible, que, me bornant à le désarmer, je le pris par le bras, le poussai derrière moi et ordonnai à Van Berchem de le garder. Mais, à peine avais-je accompli cet acte d’humanité, que je sentis un corps dur se poser sur ma joue droite… Une double détonation éclate à mes oreilles, et le collet de mon manteau est traversé par une balle ! .. Je me retourne vivement, et que vois-je ? .. Le jeune officier cosaque qui, tenant une paire de pistolets doubles dont il venait de