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relatives, parce que rire est le propre de l’homme, et que ses effets sont moins dangereux que ces genres raffinés dont la délicatesse énerve l’âme, en la rendant plus prompte à la tentation. Le rire ne va qu’à l’oreille, tandis que le sentiment pousse droit au cœur.

La parade se glissait déjà sur le théâtre de la duchesse du Maine ; mais c’est vers 1730 qu’elle prend ses ébats et commence à envahir les spectacles particuliers. À cette époque, MM. de Maurepas, de Caylus, d’Argenson la Guerre, le chevalier d’Orléans, grand prieur de France, allaient souvent, sous la conduite de Salle[1], aux préaux des foires Saint-Germain et Saint-Laurent. Vêtus de simples redingotes, la figure soigneusement cachée par de larges chapeaux, ils s’amusaient fort aux facéties gratuites des danseurs de corde : les scènes croustilleuses, la gaîté de ces baladins, les cuirs[2] dont ils émaillaient leurs dialogues faisaient rire « à gueule ouverte et à ventre déboutonné » ces beaux seigneurs ; tant et si bien que Salle eut l’idée d’imiter ces bouffonneries, pour servir de divertissement après « des soupers d’honnêtes femmes qui aiment ça. » Il composa le Père respecté, Cassandre aux Indes, Blanc et Noir, et bien d’autres farces qui, presque toutes, coururent le monde sous le pavillon de ses nobles amis[3] ; car, si l’on en croit cette mauvaise langue de Collé, ces messieurs inventaient leurs parades sous sa dictée, mais comme il ne reprenait jamais son esprit quand il l’avait donné, tout allait au mieux : ainsi pour le Remède à la mode dont il avait fait présent au duc de La Vallière, qui finit par se persuader très sincèrement qu’il en était l’auteur. De même, le Complaisant, le Fat puni, le Somnambule, ces jolies

  1. Jules Cousin, le Comte de Clermont, sa cour et ses maîtresses, 2 volumes. — Sainte-Beuve, le Comte de Clermont et sa cour, t. XI. Nouveaux lundis, t. VII. — Journal historique de Collé et correspondance, 4 volumes. — Journal de Barbier. — Mémoires du marquis de Valfons. — Œuvres de Laujon, 4 volumes. — Recueils manuscrits de Maurepas, de Clairambault et du marquis de Paulmy. — De Goncourt, Portraits intimes du XVIIIe siècle. — D’Alembert, Éloge du comte de Clermont. — Mémoires de d’Argenson, de Bachaumont, de Rochambeau, du duc de Luynes. — Mélanges de Bois-Jourdain. — Comte d’Haussonville, le Salon de Mme Necker, t. Ier, p. 264 et suiv. — Théâtre des boulevards, 3 volumes. — Journal des inspecteurs de police ; bibliothèque de la ville de Paris. — Journal des règnes
  2. « Zon appelle cuirs, parmi les comédiens de province, les mauvaises liaisons que font les acteurs qui n’ont pas zété à une certaine éducation soigneuse, qui zont été, zavant d’monter sur le théâtre, d’aucuns, garçons de billard, d’autres, moucheux de chandelles, laquais de comédiens de Paris, etc. Voici zun exemple de cuirs, pris d’un prologue de la tragédie de Didon :

    Za qui de commencer ? Ce n’est point za Didon.
    Pas t’a vous, pas t’a moi, pas t’a lui, za qui donc ? (Collé.) »

  3. Salle était secrétaire du comte de Maurepas.